L’organisation d’un référendum sur la constitutionnalisation du droit des étrangers en France ?
C’est à l’occasion d’une entrevue télévisée accordée à la chaine BFM TV le 10 janvier 2025, que le député du Nord, Sébastien Chenu, a proposer de procéder à la constitutionnalisation du droit des étrangers en France. Cette inscription au sein du texte constitutionnel suprême se ferait par le biais d’un référendum organisé spécifiquement à ce sujet. Néanmoins, à cette proposition, il convient immédiatement d’émettre certains doutes quant à son objet précis d’une part, et d’autre part une nécessaire entente entre les citoyens français amenés à se prononcer par les urnes, et les membres du Parlement français.
Cette proposition a été faite à l’occasion de cette entrevue par l’actuel vice-président du Rassemblement National, alors qu’il était interrogé concernant l’épineuse et polémique question de l’immigration sur le territoire national. La solution est, selon ce dernier, toute trouvée en ce qu’il conviendrait d’appeler les citoyens français à se prononcer sur cette question via l’organisation d’un référendum qui permettrait, ou non, d’inscrire au sein de la Constitution le droit des étrangers.
En quoi consiste le droit des étrangers en France actuellement ?
Evoquer cette idée de constitutionnalisation du droit des étrangers en France nous impose de nous intéresser à la question de savoir ce en quoi il consiste actuellement et donc quelles sont les règles applicables en la matière. De ce fait, il nous faut débuter ce développement en précisant que le droit des étrangers est régi par les dispositions contenues au sein du Ceseda, c’est-à-dire le Code de l’entrée et du séjour des étrangers du droit d’asile. Ce code contient en effet une centaine d’articles qui trouvent à s’appliquer aux étrangers sur le territoire national. Une première constatation s’impose à nous dans la mesure où le droit des étrangers, tel qu’il existe en France aujourd’hui, est directement régi par la loi. Cela nous pousse maintenant à une seconde constatation et non des moindres, compte tenu des difficultés que représente toute réforme du texte constitutionnel : le fait de constitutionnaliser ce droit des étrangers ne signifierait pas le fait de le réécrire dans son intégralité mais de l’insérer dans la Constitution par de nouvelles règles constitutionnelles écrites.
Il est utile de souligner le fait qu’une proposition de loi constitutionnelle avait déjà été présentée par Bruno Retailleau, l’actuel ministre de l’intérieur français, en 2023, aux côtés de différents sénateurs du parti Les Républicains. La lecture de cette proposition de loi constitutionnelle nous apprend alors qu’il évait été souhaite l’insertion de nouveaux principes en la matière, ainsi que l’insertion d’alinéas spécifiques à ce sujet dans le texte même de la Constitution française. Cette proposition prévoyait notamment que la Constitution contiendrait le principe selon lequel les dépôts de demandes d’asile devraient être effectuées depuis l’étranger, à tout le moins, une mise en place d’un examen accéléré des dossiers de tout individu qui en ferait la demande et qui se trouveraient déjà sur le territoire national lorsqu’une telle demande est faite.
Ces constatations étant effectuées, se posent maintenant différentes questions quant à la possibilité d’une telle réforme du texte constitutionnel suprême qui, pour rappel, n’est pas chose aisée en droit français.
Pourquoi vouloir à tout prix une réforme de la Constitution ?
Comme nous l’avons mentionné dans notre précédent développement, il est possible de modifier les règles relatives au droit des étrangers par la loi ; par conséquent, il n’est en rien nécessaire d’un point de vue strictement juridique de vouloir à tout prix l’insérer dans les dispositions constitutionnelles. Notons également qu’au sens des dispositions de l’article 34 de ce même texte, c’est-à-dire des dispositions prévoyant le domaine réservé de la loi en droit français, le droit des étrangers y est explicitement inscrit. Ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire ou le modifier : nul besoin de toucher au texte constitutionnel suprême. Pour preuve, s’il en fallait une, rappelons que la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, dite loi immigration, et défendue par l’ancien ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a résulté sur une modification des dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers du droit d’asile et a laissé tel quel le texte constitutionnel.
Cette proposition de constitutionnalisation semble plutôt revêtir la nature d’un effet d’annonce plus qu’une réelle volonté de réforme puisqu’aucune information n’est donnée quant au fond de cette réforme constitutionnelle souhaitée. La Constitution doit-elle intégrer des grands principes à ce sujet ? des restrictions particulières et pour quelle catégorie d’étrangers en France ? Autant de questions laissées sans réponse…
Dans tous les cas, revenons en quelques lignes sur les difficultés juridiques de modification de la Constitution. S’il est vrai que la proposition prévoit d’organiser un référendum et donc d’appeler les citoyens français à ce prononcer à ce sujet, il faut également noter que le texte constitutionnel lui-même devra être respecté et notamment ses dispositions contenues au sein de son article 89. La proposition de loi constitutionnelle se doit nécessairement d’être adoptée par les deux chambres du Parlement français et ce, en des termes identiques : or l’on voit mal, vu les fractures actuelles en son sein, que ces deux chambres puissent trouver un terrain d’entente. Ce ne serait qu’à ce stade que cette proposition pourrait valablement être présentée aux citoyens français : nous pouvons donc émettre de forts doutes quant à la réalisation d’un tel référendum. Encore faudrait-il que les citoyens français soient finalement en faveur d’une telle proposition…
Références
https://www.senat.fr/leg/ppl22-646.html
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000006070158/
https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A17534
https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-constitutionnalisation-du-droit-des-etrangers-essai-de-synthese