Dans un précédent article, nous nous sommes intéressés à la question de savoir si la France pouvait ou non connaitre une situation similaire à celle bien connue aux Etats-Unis en absence de vote du budget pour l’année suivante : le shutdown. Nous avons conclu que des mécanismes de protection existent dans notre arsenal juridique et qu’une telle situation ne saurait se produire. Dans notre développement, nous allons revenir sur le contenu de la loi spéciale, ses tenants et ses aboutissants. Décryptage.
Pourquoi une loi spéciale doit-elle être adoptée ?
Cette toute première question est importante et il nous faut donc revenir quelques semaines en arrière. En effet, par application des dispositions contenues au sein de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, l’Assemblée nationale en date du 4 décembre dernier a décidé de voter une motion de censure à l’encontre du Gouvernement Barnier. Ce faisant, et en application concomitante des dispositions contenues au sein de l’article 50 du texte constitutionnel suprême, l’ancien Premier ministre, Michel Barnier, a été contraint de déposer sa démission auprès du Chef de l’Etat.
Ce vote a résulté sur une situation somme toute particulière et bien problématique dans la mesure où l’examen puis le vote du projet de loi de finances pour 2025 n’ont pu avoir eu lieu conformément à la procédure préétablie à ce sujet. Partant, il n’a pas été possible d’adopter définitivement le budget pour l’année 2025 avant le 31 décembre de cette année. Face à cette situation, bien que rarissime dans la pratique mais effectivement prévue par les textes afin de contrer toute difficulté, le texte constitutionnel lui-même en son article 47, alinéa 4, ainsi que la Loi organique relative aux lois de finances (ci-après désignés sous le sigle LOLF), en son article 45, permettent au pouvoir exécutif de déposer à l’Assemblée nationale un projet de loi spéciale. Ceci a été effectué avant le 19 décembre 2024. Le projet de loi, qui a finalement été adopté par les deux chambres du Parlement, permet de percevoir l’ensemble des ressources utiles à assurer la continuité de l’Etat pour la nouvelle année.
- Les acteurs du projet de loi de finances
- La nouvelle LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances)
A situation exceptionnelle, adoption texte d’urgence budgétaire
Le projet de loi spéciale, longuement décrit et interrogé dans la presse depuis quelques semaines, et qui permet de poursuivre le bon fonctionnement des services publics, dans l’attente du vote d’un budget en 2025, fut définitivement adopté cette semaine par le Parlement. C’est en effet grâce à l’adoption de ce projet par les sénateurs, le 18 décembre 2024, à l’unanimité des suffrages exprimés, soit un total de 345 votes, que le texte d’urgence budgétaire pourra entrer en vigueur. Cette adoption par la chambre haute du Parlement fait suite au vote, lui aussi unanime, par les députés, le 16 décembre dernier. Il nous faut bien garder en tête que le vote de cette loi ne résulte pas sur l’autorisation de nouvelle dépense, sauf cas d’urgence, comme concernant la situation actuelle à Mayotte.
Dans son discours prononcé devant le Sénat, Antoine Armand, le ministre démissionnaire de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, a rappelé que la motion de censure a eu pour effet d’interrompre brusquement les discussions en cours concernant l’adoption des textes budgétaires pour l’année à venir. Ce dernier a, sous ce rapport, déclaré que la situation actuelle, « grave et exceptionnelle a des impacts immédiats », prenant pour exemple l’impossibilité de verser des aides aux entreprises dans les temps escomptés. Il a également rappelé que le projet de loi ne revêt aucunement la nature d’un budget car celui-ci n’est pas « sous-tendu par des prévisions » économiques et financières. Et ce dernier d’ajouter que l’urgence est bien là, qu’il fallait voter ce projet de loi spéciale, tout en ayant en tête que les déficits sont bien là, que la dette est elle aussi bien là, et que l’urgence budgétaire ne saurait avoir disparu du fait de ce vote.
Toujours selon lui, le texte en cause est « technique », mais il ne dispose pas de « portée politique ». Il ne constitue pas non plus une quelconque reconduction du budget validé pour l’année 2024 mais il permet d’ouvrir des crédits à l’effet de permettre la continuité des services publics et ce, « dans la limite maximale du budget de l’année précédente. » Il précisa également, à l’occasion de ce discours, que le projet de loi vise deux objectifs principaux, à savoir : dans un premier temps, « lever l'impôt, tenir nos engagements européens et donner de la visibilité aux collectivités territoriales », dans un second temps de « permettre à l'État et aux organismes de sécurité sociale d'émettre de la dette ».
L’ensemble de ces propos furent par ailleurs complété par la déclaration de Laurent Saint-Martin, le ministre démissionnaire chargé du Budget et des Comptes publics, qui expliqua que le décret qui suivra la promulgation de ladite loi placera nécessairement le pouvoir exécutif « sous le régime strict des services votés », assurant de nouveau l’impossibilité totale pour l’exécutif de pouvoir utilement et valablement engager de nouvelles dépenses non votées, non actées par le Parlement. Cela implique donc que l’intégralité des crédits seront effectivement ouverts par voie de décret. Par exemple, cela implique, en outre, que le budget de certains ministères ne pourra pas être augmenté.
Comme précisé ci-dessus, il sera néanmoins possible que de nouvelles dépenses soient valablement engagées dans des cas bien particuliers, notamment si un motif d’urgence le commande expressément. Notons que la situation actuelle à Mayotte constitue un parfait exemple de cette exception à la règle.
Pour clore, notre nouvel article sur la loi spéciale votée dans le courant de cette semaine nous permet bien de comprendre qu’aucune possibilité de shutdown à l’américaine n’est possible en France, et que, dans des situations d’exception telle que celle rencontrée suite à la motion de censure et la démission du Gouvernement qui en a suivi, notre arsenal juridique permet en effet d’éviter au mieux les difficultés d’ordre budgétaire, dans l’attente d’un vote effectif concernant le budget pour l’année à venir.
Références
https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/direct-suivez-lexamen-du-projet-de-loi-speciale-au-senat
https://lcp.fr/actualites/loi-speciale-l-assemblee-adopte-a-l-unanimite-le-projet-de-loi-destine-a-assurer-le
https://www.economie.gouv.fr/actualites/budget-2025-quoi-sert-la-loi-speciale
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/pjl_speciale_article45lolf_2025