Cette particularité juridique du Président n’est pas propre à la Ve République, elle existait déjà depuis la IIIe République. Elle était à l’origine un corolaire à l’absence de pouvoirs élargis pour le Président. Mais la constitution du 4 Octobre 1958 a considérablement développé ses prérogatives. Son élection au suffrage universel notamment lui permet d’accéder au statut d’Élu de la Nation.
Ainsi, le Président de la République, en raison de son statut spécifique, bénéficie d’une protection particulière qu’est l’irresponsabilité. Cela signifie qu’il ne peut être tenu pour responsable de ses actes. En conséquence, ses actes font l’objet d’un contreseing des ministres concernés qui engagent leur responsabilité politique. Mais qu’en est-il de la nature exacte de cette irresponsabilité, et de l’étendue de son champ d’application ? Peut-on dire que l’irresponsabilité du Président de la République est absolue, c’est-à-dire qu’elle ne souffre d’aucune exception ni d’aucune limite ?
Si le Président de la République bénéficie d’une traditionnelle irresponsabilité de principe (I), celle-ci n’en demeure pas moins circonscrite à un cadre limité (II).
I. Le Président de la République bénéficie d’une traditionnelle irresponsabilité
Historiquement, la Présidence de la République étant plutôt une fonction honorifique, il apparaissait logique qu’elle ne puisse engager sa responsabilité pour des actes en réalité décidés par le gouvernement. Ainsi, l’irresponsabilité administrative et politique totale est érigée en principe (A). Nonobstant l’accroissement des pouvoirs présidentiels, ce principe perdure (B).A. Le principe d’irresponsabilité administrative et politique totale…
Le principe d’irresponsabilité est consacré par l’article 67 de la constitution de 58. Il prévoit que le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions. En d’autres termes, aucune action ne peut être engagée contre le chef de l’Etat, pour les actes réalisés en cette qualité. Cette protection de la fonction a un caractère absolu car elle concerne les domaines civil, pénal, administratif et politique. Par ailleurs, elle est permanente puisque l’irresponsabilité pour les actes réalisés dans le cadre de ses prérogatives demeure même après la fin du mandat.
Cette irresponsabilité s’étend même aux actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, durant toute la durée du mandat ainsi que le mois suivant. Le Président ne peut être requis pour témoigner, tout comme il ne peut faire l’objet d’une action, d’un acte d’information d’instruction ou encore de poursuite. Cette inviolabilité est dite complète, puisqu’elle concerne le domaine civil, pénal et administrative. Elle est néanmoins temporaire puisqu’elle ne dure que jusqu’à la fin du mois suivant le terme du mandat.
Alors que les prérogatives du chef de l’Etat se sont renforcées dans la pratique, le principe d’irresponsabilité aurait pu être remis en cause. En réalité, la présidentialisation n’a pas été accompagnée de responsabilisation.s
B … qui perdure nonobstant l’accroissement des pouvoirs présidentiels
Dans les IIIe et IVe Républiques, les rôles étaient répartis entre un gouvernement qui détient le pouvoir de déterminer et de conduire la nation et un Président qui joue le rôle d’arbitre et de garant du bon fonctionnement des institutions. Historiquement, l’exécutif était responsable car il était le véritable décisionnaire alors que les fonctions de représentant de la Nation étaient protégées par une absence de responsabilité.
Mais l’histoire de la Ve République a vu un Président de plus en plus puissant, son autorité s’étant progressivement renforcée. La constitution de 58 marque un tournant vers une présidentialisation accrue du régime. En effet, la pratique du référendum et l’article 16 de la Constitution relatif aux pouvoirs exceptionnels, même si elle n’a été utilisée qu’une seule fois, sont des armes constitutionnelles détenues par le chef de l’Etat seulement. Pour autant, ce transfert d’autorité du gouvernement vers le Président n’a pas été suivi d’un transfert de responsabilité.
Par ailleurs, si le Président reste responsable devant la Nation qui l’a élue, la pratique des chefs de l’Etat qui se sont succédés après De Gaulle est loin de le démontrer. Dans les faits, les référendums, comme les périodes de cohabitations, n’ont pas amené les Présidents à considérer leur responsabilité politique comme engagée.
II. Cette irresponsabilité du Président demeure circonscrite à un cadre limité
A. Des limites à l’irresponsabilité politique
L’inviolabilité du Président concernant les actes réalisés hors de l’exercice de son mandat n’est que temporaire. Cela signifie qu’une action peut être exercée dès un mois après la cessation de fonctions. Dans l’attente, les délais de prescription ou de forclusion sont suspendues, les droits d’engager des poursuites pour les tierces personnes sont donc conservés.
L’irresponsabilité du Président a également pour limite l’éventuel manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de sa fonction ». L’article 68 de la Constitution prévoit en effet pour le parlement la possibilité de se réunir en Haute Cour pour engager une procédure de destitution. Le Président se doit d’agir en adéquation avec ses fonctions pour pouvoir mener son mandat à terme.
La révision constitutionnelle du 23 février 2007 a introduit ce mécanisme de responsabilisation politique dont l’application reste néanmoins strictement encadrée.
B. Des limites à l’irresponsabilité pénale
Le Président de la République peut être poursuivi pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre ou crimes d’agression. L’article 53-2 prévoit la possibilité d’une poursuite devant la Cour Pénale Internationale pour les crimes concernés. Cette exception à l’article 67 de la Constitution date de la loi constitutionnelle du 8 Juillet 1999.
Si les évolutions de 1999 et 2007 ont tracé un cadre entourant l’irresponsabilité du Président, rognant ainsi son caractère absolu, il n’en demeure pas moins que la responsabilité du Président demeure très circonscrite. Le principe de non responsabilité du Chef élu reste encore préservé, même si l’influence de la société civile amène une responsabilisation croissante des représentants élus.
Très récemment, alors que le Président Emmanuel Macron, à propos de la pandémie de covid-19 actuelle, déclarait qu'« un irresponsable n’est plus un citoyen », la question de l’irresponsabilité de la personne qui occupe la plus haute fonction de l’Etat s’avère plus brûlante que jamais.
Sources
- Constitution du 4 octobre 1958
- « La constitution de la Ve République », D. Chagnolaud de Sabouré et A. Baudu, Dalloz
- Revue Française de Droit constitutionnel N°49, janvier-mars 2002, « La responsabilité pénale du Président de la République »
- Droit constitutionnel, éditions Sirey, F Mélin-Soucramanien, P Pactet, 2021