Comment prouver un fait en droit du travail ?
Par débuter notre développement, rappelons que la Chambre sociale de la Cour de cassation, par différentes décisions rendues le 13 avril 2016 avait décidé de mettre un terme à la théorie du « préjudice automatique ». Il revenait alors au salarié de démontrer l’existence de son préjudice mais aussi de son étendue.
Ces arrêts furent suivis de nouvelles décisions qui permirent de renforcer ces nouvelles règles et d’abandonner les exceptions à ce principe. Les décisions qui ont été rendues il y a quelques semaines confirment cette volonté de la Cour de cassation en la matière. Le salarié doit en effet apporter la preuve de son préjudice.
Ce choix se comprend par la volonté de la Cour de cassation, d’aligner, les deux contentieux du droit du travail, et de la responsabilité civile au sens des dispositions des articles 1240 et 1241 du Code civil. le droit de la responsabilité civile exige en effet qu’une faute soit démontré qu’un préjudice soit également démontré et qu’il y ait un lien de causalité entre la faute et le préjudice dont se plaint la victime.
Au surplus, il faut rappeler que le préjudice, son existence et son évaluation, relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Si le salarié n’apporte pas la preuve de leur préjudice, leur demande indemnitaire peut ainsi être rejetée. Au sens des articles 604 et suivants du Code de procédure civile, ce pouvoir est contrôlé par la Cour de cassation concernant spécifiquement la qualification juridique des faits mais aussi la motivation de la décision par le juge.
De quoi traitaient les arrêts rendus le 11 mars 2025 ?
Tout d’abord, la Chambre sociale a considéré que le manquement par un employeur à son obligation de suivi médical concernant la situation d’un travailleur de nuit ne permet pas, en lui-même, d’ouvrir un droit à réparation au bénéfice dudit salarié. Cette décision s’inscrit d’ailleurs dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision du 20 juin 2024 (CJUE, C-367/23).
Ensuite, la Chambre sociale a connu de deux situations eu égard aux conventions de forfait-jours. Elle a d’abord considéré que lorsqu’un salarié est soumis à une telle convention par un accord collectif insuffisant au regard de la garantie sur le suivi de la charge de travail, le fait que cette convention soit nul ne résulte pas de manière automatique sur un droit à réparation. Elle a ensuite jugé que l’absence de respect par l’employeur du contenu de l’accord collectif relatif auxdits forfait-jours a pour résultat de priver la convention de tout effet mais ne résulte pas sur un droit à réparation. Ces décisions s’inscrivent dans la lignée des arrêts du 28 février 2028 (n16-19.054) et du 24 octobre 2028 (n17-18.763). Plus exactement, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé ainsi dans la mesure où est appliqué le principe de la réparation intégrale sans enrichissement indu : la portée de ces décisions ne fait qu’appliquer le non-cumul des réparations (le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées par le salarié revêt la nature d’une forme d’indemnisation par rapport au préjudice économique dont se plaint un salarié qui est soumis à une telle convention).
De surcroît, la Cour de cassation s’est intéressée au manquement du droit aux congés payés. En l’espèce, la Chambre sociale a décidé que dans le cadre de ce manquement, les droits du salarié sont en vérité reportés ou bien sont convertis sous la forme d’indemnité en fonction des cas d’espèce. Cependant, cette méconnaissance par l’employeur ne saurait résulter sur un droit automatique à réparation au bénéfice du salarié concerné. Il revient au salarié de démontrer qu’il a subi un préjudice afin qu’il puisse obtenir une réparation. Ceci s’inscrit par ailleurs dans la jurisprudence de la CJUE qui a jugé que le droit au report ou à l’indemnisation de ces congés revêt la nature d’une forme de réparation du préjudice dont se plaint le salarié (cf. CJUE, 06/11/2018, C-569/16).
L’existence de certains cas de préjudice nécessaire dans le cadre du temps de travail
En dépit de ces règles prétoriennes strictes, il existe tout de même des cas reconnus concernant le préjudice nécessaire en droit du travail et plus exactement concernant le temps de travail. C’est ainsi qu’est reconnue l’existence de ce préjudice lorsque s’y dépassée la durée maximale hebdomadaire ou quotidienne de travail (cf. respectivement Cass. soc., 26/01/2022, n20-21.636 et, 11/05/2023, n21-22.281) ou bien la méconnaissance eh temps de pause quotidien (cf. Cass. soc., 04/09/2024, n23-15.944).
Comment expliquer ces exceptions ? Celles-ci se comprennent à l’aune même de la nature des droits qui sont protégés par les règles juridiques. En effet il s’agit de la protection non seulement de l’intégrité physique mais aussi de l’intégrité mentale des salariés. Notons au surplus qu’il s’agit également d’une protection inscrite au sein du Préambule de la Constitution de 1946, ce dernier consacrant en effet le droit à la santé et le droit au repos (cf. en ce sens Cons. const., 29/04/2004, 2004-494 DC).
Pour clore, il nous faut évoquer la distinction entre des situations pour lesquelles la méconnaissance par l’employeur porte une atteinte directe à la santé et à la sécurité des salariés (c’est-à-dire le préjudice nécessaire) des situations pour lesquelles est préalablement déterminée de manière légale une autre forme de réparation. Dans l’hypothèse de l’invalidité d’une convention de forfait-jours, la nullité de celle-ci résulte sur le paiement d’heures supplémentaires. À l’égard maintenant des congés payés qui n’ont pas été pris, la réparation prend la forme d’un report voire d’une indemnisation compensatrice.
Références
https://www.village-justice.com/articles/cour-cassation-poursuit-construction-jurisprudentielle-prejudice-necessaire,52786.html#:~:text=Soc.,il%20démontre%20un%20préjudice%20distinct.
https://www.ellipse-avocats.com/2024/09/un-salarie-peut-il-automatiquement-beneficier-dune-indemnisation-en-cas-de-manquements-de-son-employeur-a-une-obligation/
https://www.herald-avocats.com/dans-le-maquis-du-prejudice-necessaire-laffaire-se-corse/
https://www.juritravail.com/Actualite/prejudice-automatique-dans-quels-cas-les-juges-considerent-ils-que-le-salarie-na-pas-a-prouver-lexistence-dun-prejudice-pour-etre-indemnise/Id/377637