Les faits de l’espèce

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat, il s’agissait du télégramme du Ministre de l’Intérieur, pris en date du 12 octobre dernier et qui commandait aux préfets d’interdire de manière systématique les manifestations propalestiniennes sur l’intégralité du territoire français et ce, du fait de susceptibles troubles à l’ordre public. Ce télégramme intéressait plus précisément les « conséquences des attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre ».

Le juge des référés du Conseil d’Etat fut saisi par l’Association Comité Action Palestine d’une demande suspension de l’exécution dudit télégramme, celle-ci se basant sur les dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, inhérentes au mécanisme du référé-liberté.


Qu’a décidé le Conseil d’Etat ?

Dans cette décision, le Conseil d’Etat décide de rejeter la requête formée par cette association, mais ce qui est véritablement intéressant ici réside dans le fait que, finalement, cette dernière se voit donner raison par les juges.

Ils ont considéré que, dans tous les cas, il apparait strictement impossible de commander aux préfets d’interdire de manière systématique et indistincte toutes les manifestations, qu’elles soient propalestiniennes ou pro-israéliennes par ailleurs. Il est donc impossible de les interdire sur l’intégralité du territoire national dans la mesure où appréciation dite « au cas par cas » doit être effectuée par rapport au risque de troubles pouvant être portés à l’ordre public. Il est rappelé que la procédure de référé-liberté, régie par les dispositions susmentionnées, implique que soit apportée la preuve d’une situation d’urgence d’une part, d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale d’autre part (ici, la liberté de manifester et la liberté d’expression des courants de pensée et d’opinion).

Dans son ordonnance, le Conseil d’Etat a expressément souligné la conciliation obligatoire entre le respect de ces deux libertés et l’exigence de nature constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. En effet, si la liberté de manifester est bien protégée, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas absolue et est limitée par la protection de l’ordre public. En conséquence, une manifestation peut utilement être interdite pour le cas où elle risque de créer un ou des troubles à l’ordre public. Sous ce rapport, il reviendra à l’autorité administrative de l’apprécier.


Ce qui doit être retenu ici réside dans la règle selon laquelle interdire une manifestation ne saurait être prise qu’en dernier lieu et doit obligatoirement être motivée par rapport au cas de l’espèce dans la mesure où la liberté constitue le principe, la restriction de police l’exception (cf. en ce sens, CE, 19/05/1933, Benjamin, n°17413). Néanmoins, le Ministre de l’Intérieur n’a-t-il pas expressément commandé aux préfets d’interdire de manière systématique et indistincte toutes les manifestations propalestiniennes sur l’entièreté du territoire français ? En fait, il n’y a pas lieu de penser que chacune desdites manifestations tournera au chaos. Or s’il n’existe pas de trouble à l’ordre public, alors la tenue de cette manifestation doit nécessairement être autorisée.


S’il est vrai que la lecture de cette ordonnance nous renseigne sur les manifestations qui doivent immanquablement être interdites en ce qu’elles créeraient un tel risque par nature (par exemple, les manifestations qui ont pour objet de motiver ou de valoriser actions de même nature que celles ayant eu lieu le 7 octobre dernier).

Les juges du Conseil d’Etat ont par ailleurs soulevé « [la] regrettable approximation rédactionnelle » (§8 de la décision) du télégramme du Ministre de l’Intérieur et en a profité pour énoncer l’interprétation à admettre en pareilles circonstance. En effet, il revient exclusivement à l’autorité préfectorale, le jour où celle-ci se prononce, d’apprécier au cas par cas, la possibilité et l’intensité des risques pouvant être portés à l’ordre public pour « chaque manifestation déclarée ou prévue » (§7) et ce, eu égard à son objet qu’il soit déclaré ou réel, mais aussi de « ses caractéristiques propres et des moyens » (§7) dont cette autorité dispose afin de sécuriser ladite manifestation.

Compte tenu de ce qui précède, il est retenu par le Conseil d’Etat qu’une interdiction systématique et indistincte des manifestations propalestiniennes (et même pro-israélienne) est impossible sans qu’il ne soit procédé, de manière préalable, à une appréciation au cas par cas, et d’un point de vue local, par l’autorité préfectorale des risques pouvant possiblement être portés à l’ordre public. Le Conseil d’Etat, ce faisant, ne fait pas réellement preuve de nouveauté : il constate tout simplement que le télégramme en question ne respectait pas les règles prétoriennes précédemment élaborées en la matière.
Ce qui détonne sûrement, concernant cette ordonnance, réside surtout dans le fait que le Conseil d’Etat a rappelé sa jurisprudence eu égard à la nécessaire conciliation entre libertés fondamentales et risques possiblement portés à l’ordre public (appréciation dite au cas par cas en sus de l’interdiction d’une appréciation générale et indifférenciée, indistincte), le tout en rejetant le recours en question…

Devons-nous être pour autant être offusqués d’une pareille décision ? Pas tellement puisque dans tous les cas le télégramme est annihilé dans ses effets et qu’il ne saurait plus valablement constituer la base juridique d’une quelconque interdiction générale et indistincte de manifester concernant le conflit actuel entre Israël et la Palestine. En fin de compte, cette correction du télégramme pris par le Ministre de l’Intérieur ne porte plus d’atteinte à la fois grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.