Comment prouver les heures supplémentaires ?

L'article L.3171-4 du Code du travail prévoit le partage de la preuve en ce que celle-ci ne revient pas uniquement à l'une ou l'autre des parties au contrat, posant de la sorte un équilibre en termes de procédure entre elles. La décision prise par le juge ne saurait donc uniquement reposer sur une insuffisance de preuve qui découlerait du salarié (cf. par exemple Cass. soc., 10/05/2007). 

Au surplus pèse sur l'employeur une obligation spécifique concernant le décompte du temps de travail effectif de ses salariés au sens de l'article L.3171-2 dudit code. Celle-ci doit être respectée en ce qu'elle détermine la possibilité pour lui de justifier des heures qui ont en effet été réalisées par ses salariés et ce, jusqu'à l'expiration de la prescription applicable aux salariés. Cependant, à défaut d'un système de décompte des heures, celui-ci ne fait pas obstacle au droit de l'employeur de contester ces heures supplémentaires invoquées par un salarié (cf. Cass. soc., 07/02/2024). 

 

Quels sont les éléments probatoires du salarié et de son employeur ? 

Il est revenu au juge de poser les éléments probatoires pouvant valablement être invoqués par un salarié. Peut alors constituer un élément probant le simple décompte des heures réalisées, sans que celui-ci soit accompagné d'explications additionnelles (cf. Cass. soc., 24/11/2010). Il n'est donc pas non plus nécessaire pour le salarié de mentionner les pauses déjeuner (cf. en ce sens, Cass. soc., 21/01/2021). 

Il fut également admis par la Chambre sociale de la Cour de cassation que des éléments de preuve autre puissent être acceptés valablement. De la sorte, par exemple, furent acceptés par la Chambre sociale des relèves au sein desquels ne figuraient pas les temps de trajet entre le domicile et le travail (cf. Cass. soc., 01/06/2022). La Cour de cassation a pu aller plus loin encore en ce sens puisqu'elle a accepté que des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires soient en effet produits alors même que ceux-ci ne contenant pas de détail horaire spécifique (cf. Cass. soc., 15/03/2023).

Concernant l'employeur, il est aussi revenu au juge de poser un cadre spécifique quant à la preuve de ces heures supplémentaires de ses salariés. Il convient tout d'abord de noter que les documents mis en place par l'employeur, de manière unilatérale, ne sauraient revêtir la nature d'une force probante pleine et entière, totale. 

Les juges ont pu écarter certains éléments apportés par l'employeur, par exemple la production de tickets restauration détaillés, considérant que ces dernières portaient une atteinte jugée disproportionnée à la vie privée du salarié.

 

Qu'a donc apporté notre cas d'espèce ?

Après avoir évoqué les quelques règles en la matière, il nous faut maintenant nous intéresser à l'arrêt rendu le 15 janvier 2025.

Dans notre cas d'espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il s'agissait d'un salarié qui avait été employé dans un restaurant à temps partiel. Par la suite son contrat de travail fut qualifié en temps complet : après cette qualification, le salarié demanda à ce que les heures supplémentaires effectuées soient payées. A l'appui de sa demande de paiement de ces heures, le salarié avait présenté des attestations de clients mais avait également produit la page de présentation du restaurant figurant sur la page de recherche Google, page faisant figurer les heures d'ouverture et de fermeture dudit établissement. De son coté, l'employeur, afin de contester ces éléments produits par le salarié avait apporter des témoignages de salariés. Toutefois ces témoignages étaient critiques du fait de leur impartialité ; ils provenaient en effet de deux salariés ayant des liens de famille avec l'employeur. 


Qu'a donc décidé la Chambre sociale de la Cour de cassation dans notre cas d'espèce ?

C'est sur la base des dispositions contenues au sein des articles L.3171-2 et L.3171-4 du Code du travail que les juges de la Chambre sociale ont censuré l'analyse effectuée par les juges du second degré. Ces derniers avaient en effet décidé de rejeter la demande portée par le salarié, considérant que les éléments de preuve que ce dernier avait apportés n'étaient pas suffisants pour démontrer les heures supplémentaires en cause. 

À cela, les juges de la Cour de cassation ont précisé que sur le salarié ne doit pas uniquement peser la charge de la preuve des heures effectuées, qu'il n'a pas non plus à en apporter la preuve exacte. Il revient tout bonnement au salarié d'apporter des éléments de preuve qui soient suffisamment précis à l'effet de permettre à l'autre partie au contrat de travail, son employeur, de répondre

Il nous faut noter que la Cour de cassation a jugé ainsi conformément à sa jurisprudence qu'elle avait initiée par son arrêt rendu le 18 mars 2020

Au surplus, le juge doit jouer un rôle dans l'appréciation des éléments de preuve apportés. Ce dernier doit en effet procéder à l'examen de tous les éléments apportés par le salarié et par l'employeur conformément au contenu de l'arrêt de 2020 susmentionné. Le juge ne saurait donc pas vérifier les éléments apportés par le salarié, ni même encore rejeter sa demande en considérant que les preuves apportées par lui seraient considérées comme étant insuffisantes. Le juge ne peut pas non plus se désintéresser des éléments de preuves que l'employeur pourrait lui aussi produire. 

Ces règles sont édictées et appliqués à l'effet de garantir le principe du contradictoire entre le salarié et l'employeur en litige, et permet que les prétentions de chaque partie soient finalement appréciées de manière équilibrée, les unes par rapport aux autres. 

Dès l'instant où les juges considèrent que les heures supplémentaires sont établies, qu'elles existent, ce dernier détient un pouvoir souverain afin de considérer leur importance et de déterminer les créances qui y affèrent. Ce pouvoir n'est cependant pas absolu en ce qu'ils ne peuvent pas effectuer d'évaluations forfaitaires (cf. Cass. soc., 11/05/2022). Les juges ne sauraient non plus décider de substituer au paiement des heures supplémentaires effectives des dommages et intérêts au bénéfice du salarié (cf. Cass. soc., 15/10/2002). Il conviendra cependant de noter que ceux-ci n'ont pas l'obligation de procéder au détail du calcul qu'ils ont effectivement retenu pour ce paiement selon l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 18 mars 2020. 

Au titre des apports de cette décision du 15 janvier 2025, il nous faut tout d'abord retenir que celle-ci impose, pour les employeurs, de suivre de manière rigoureuse le temps de travail de leurs employés. Ces derniers doivent alors instaurer un système qui permette de décompter les heures effectuées par leurs salariés et garder à leur disposition l'ensemble de ces éléments de preuve jusqu'à ce que la prescription soit effective. De ce fait, cela implique que lorsqu'un salarié réclame auprès de lui le paiement de ses heures supplémentaires, l'employeur soit dans la mesure de proposer ses propres éléments et non simplement contester ce que son salarié a produit de son coté. 

Cette décision est aussi intéressante du coté des salariés en ce que cette dernière prévoit bien que même s'ils sont contraints d'apporter des éléments considérés comme suffisamment précis lorsqu'ils en font la demande, il n'en demeure pas moins que ces derniers ne sont pas obligés d'apporter une preuve qui serait absolue quant à ces heures supplémentaires. Ces éléments n'ont alors pas à être exhaustifs mais plutôt à suffisamment précis et cohérent quant à la demande en question. Les droits des salariés sont donc préservés et le principe du contradictoire est, pour sa part, lui aussi assuré eu égard à son respect et à son efficacité. 

Notre cas d'espèce a le mérite de s'inscrire dans une lignée prétorienne protectrice des droits des salariés et surtout de maintenir cet équilibre si précieux entre les droits et obligations de chacune des parties au contrat de travail. Ainsi, la preuve de ces heures se base sur un « dialogue probatoire » entre elles, dialogue par ailleurs contrôlé par le juge et sur lequel se fonde notamment son intime conviction.

 

Références

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000051013034?cassDecision=ARRET&cassFormation=CHAMBRE_SOCIALE&init=true&isAdvancedResult=true&juridictionJudiciaire=Cour+de+cassation&page=1&pageSize=10&query=%7B%28%40ALL%5Bt%22*%22%5D%29%7D&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typeRecherche=date

https://www.cabinet-avocats-langlet.fr/heures-supplementaires-sur-qui-pese-la-preuve-en-cas-de-conflit/

https://www.weblex.fr/la-petite-histoire-du-jour/c-est-l-histoire-d-un-employeur-qui-se-voit-opposer-sa-propre-page-internet