Suspension des visas des ressortissants algériens : une proposition d’Eric Ciotti
Le député des Alpes-Maritimes, président de l’Union des droites pour la République (l’UDR) et proche de l’extrême droite et du Rassemblement national, Éric Ciotti, a suggéré, à l’occasion d’une entrevue accordée à CNews, le 26 février dernier, que la France refuse de manière systématique la délivrance de visas aux ressortissants algériens. Ici, il nous faut tout de suite retenir qu’en fonction du type de visa en cause, le droit de l’Union européenne doit être appliqué nécessairement concernant les motifs de refus.
- Dans quelle mesure le modèle de fonction publique adopté par la France est-il favorable à l'accession des ressortissants étrangers (européens ou non) aux emplois publics ?
- Est-il envisageable de parler d'une véritable hiérarchie des normes en droit international ?
Ainsi, Éric Ciotti suggère, face aux tensions grandissantes entre Paris et Alger, que l’ensemble des visas accordés aux ressortissants algériens soient suspendus « tant que toutes les obligations de quitter le territoire français à destination de l’Algérie ne sont pas exécutées ».
Bien au-delà des questions que nous pourrions nous poser à l’égard de la nature d’une telle proposition, il nous faut nous poser la question de savoir si la France est bien en mesure d’interdire la délivrance de visas à des individus d’un État déterminé, dans notre cas, l’Algérie ?
La loi 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, contrôler l’intégration, pourrait servir de base à cette interdiction mais le cadre juridique demeure imprécis.
Il est important de noter que la réponse à notre question dépendra en fonction du visa qui est concerné puisque les autorités compétentes peuvent tout à fait décider, de manière discrétionnaire dans des cas déterminés, de refuser de délivrer des visas de long séjour (dépassant les 90 jours), la situation est bien distincte au regard des visas de court séjour, qui sont pour leur part inférieur à une durée de 90 jours et dont la délivrance, juridiquement, doit respecter des règles posées par le droit de l’Union européenne. La France et ses autorités ne sont donc pas autorisées à tout faire et à tout décider en la matière lorsqu’elles souhaitent refuser une telle délivrance. Droit français et droit de l’Union européenne s’appliquent donc à cet égard.
Le refus d’un visa long séjour, un choix discrétionnaire soumis à des conditions spécifiques
Il est possible pour les autorités compétentes de refuser d’attribuer un visa long séjour. Toutefois ce refus n’est pas entièrement libre en ce que des conditions doivent être respectés.
Il ressort des dispositions contenues au sein de l’article L. 312-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (aussi connu sous le sigle Ceseda) que le visa long séjour peut être accordé, de plein droit, à un conjoint d’un ressortissant français, exceptés les cas de fraude, de menace à l’ordre public ou bien encore en cas d’annulation du mariage. Hormis ces hypothèses déterminées au sein du Ceseda, les autorités compétentes peuvent décider d’accepter ou bien de refuser de délivrer de tels visas.
Il est intéressant de noter que la loi immigration susmentionnée a permis d’intégrer un nouvel article L. 312-3-1 au sein du Ceseda. Ce dernier se rapproche quelque peu de la suggestion proposée par Éric Ciotti dernièrement dans la mesure où cet article dispose que le visa de long séjour peut être refusé à un individu, ressortissant d’un État, qui est considéré comme ne coopérant pas suffisamment « en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière » ou bien un État qui ne respecterait pas ses obligations tirées d’un accord ou bien bilatéral, ou bien multilatéral « de gestion des flux migratoires ».
Si les dispositions de cet article autorisent l’Etat français à affermir sa politique au regard de certains États, il n’en demeure pas moins que ces dispositions ne lui permettent en aucun cas de refuser de manière systématique, automatique l’attribution de visas à l’ensemble des ressortissants dudit État. Il serait donc envisageable que les autorités françaises décident d’utiliser ces dispositions à l’encontre de ressortissants algériens dans le cas où Alger continuerait de refuser de réadmettre les ressortissants algériens expulsés du territoire national.
Que prévoit le droit de l’Union européenne à ce sujet ?
Nous venons d’évoquer les visas de long séjour, il nous faut maintenant évoquer les visas de court séjour, c’est-à-dire les « visas Schengen ». Les conditions d’attribution de ces visas sont fixées par le droit de l’Union européenne, et plus exactement par son code des visas. Celui-ci fut créé en 2009 par un règlement européen. C’est l’article 32 dudit règlement qui intéressent les motifs pour lesquels ces visas ne peuvent être accordés (la fraude ou encore la menace à l'ordre public).
Toutefois il est opportun de retenir que le droit européen ne contient aucune disposition explicite relative à la restriction de l’entrée de ressortissants d’Etats particuliers.
En outre, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile s’intéresse également aux visas de courts séjours. Si le droit européen ne prévoit pas de telles dispositions de restriction, le droit français a pour sa part érigé une exception. Celle-ci réside dans l’hypothèse suivante : lorsque le titulaire d’un passeport diplomatique ou d’un passeport de service qui souhaiterait obtenir un visa de court séjour et qu’il est ressortissant d’un État qui ne réadmet ps suffisamment ses ressortissants présents illégalement sur le territoire, ceux-ci peuvent voir leur demande rejetée. Cet exception réside au sein des dispositions de l’article L. 312-1-1 de ce code.
On le voit donc, il existe des conditions de délivrance de ces différents visas d’un joint de vue juridique, interne et européen. Toutefois force est de constater qu’il n’est pas possible d’interdire entièrement l’entrée de ressortissants d’un État en particulier. Si la volonté politique s’inscrit dans la suggestion d’Eric Ciotti, il faudra alors modifier la loi française et négocier, au niveau européen, avec les autres États membres de l’Union européenne pour que les règles en la matière changent…
Références
https://www.cnews.fr/france/2025-02-26/eric-ciotti-il-faut-suspendre-tous-les-visas-algeriens-tant-que-les-oqtf-ne-sont?amp
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/LSU/?uri=CELEX:32009R0810
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049040245