Pourquoi un jury populaire n’est-il pas rassemblé pour connaitre de cette affaire ?

Cette question n’est pas dénuée de sens en ce qu’elle soulève des indignations qui ont pu émerger ou plutôt réémerger dans la sphère judiciaire depuis l’ouverture de ce procès (ces indignations ont en effet été ravivées depuis l’ouverture de ce procès). Pourquoi ? Car depuis la Révolution française, les infractions les plus graves sont en fait connues et jugées par une cour d’assises, composée de juges professionnels (3) et d’un jury populaire (6 citoyens).  

Cependant force est de constater qu’une cour d’assises ne connait pas de cette affaire qui pourtant, par son ampleur, tenant aussi bien aux faits reprochés qu’à sa nature intrinsèque, aurait dû relever de la compétence d’une telle juridiction.

Pour comprendre ce premier constat, il nous faut remonter au 1er janvier 2023, date à laquelle la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire est entrée en vigueur. Parmi ses nombreuses dispositions, il est prévu qu’un très grand nombre de crimes de viol seront connus, non pas par une cour d’assises, mais bien par une cour criminelle départementale. Ces cours ne sont pas composées par un jury populaire mais le sont exclusivement par des juges professionnels (5) et qui ont pour mission de juger, en premier instance, les majeurs non-récidivistes, à qui il est reproché d’avoir commis des crimes punis par 15 ou 20 ans de réclusion criminelle. A cela, il convient tout de suite de noter que pour les crimes punis par une peine supérieure à 20 ans de réclusion criminelle, les cours d’assises demeurent, pour leur part, compétentes pour en connaitre. 

Pourquoi avoir souhaité cette mise en place ? Cette mise en place s’explique par un objectif économique (ne plus rémunérer les citoyens jurés) ; juger ce type d’affaires de manière plus rapide ; enfin, permettre un arrêt des correctionnalisations des viols. Ces objectifs n’ont d’ailleurs pas été, ou plutôt ne sont pas, atteints dans la pratique pénale. 


Correctionnalisation des viols et nouvelle qualification des viols

Au vu des chiffres publiés, ce nouveau type de juridictions connait principalement des viols qui constituent en effet près de 88% des jugements rendus, cette catégorie d’infraction étant principalement punie de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle. Comme précisé ci-dessous, pour les peines supérieures, les cours d’assises demeurent compétentes, également concernant certaines circonstances aggravantes lorsque ces infractions font encourir à leurs auteurs une peine de réclusion criminelle supérieure à 20 ans (il s’agira, entre autres, de cas de tortures ou d’actes de barbarie). 

Toutefois a émergé, dans le voisinage direct de la correctionnalisation des viols, une cour-criminalisation des viols qui, dans la pratique, omet d’une certaine manière l’existence pourtant réelle des circonstances aggravantes afin que les cours criminelles départementales puissent connaitre des faits et ainsi juger l’affaire de manière plus rapide. La maintenant très médiatisée affaire Mazan permet de symboliser notre propos en dépit de la circonstance aggravante de tortures dont il a pourtant été fait mention et des preuves rapportées à ce sujet. Cette affaire étant connue exclusivement par une telle juridiction, il n’y a pas la possibilité pour le peuple français de connaitre de cette affaire et de juger les individus poursuivis dans ce cadre. 

 

L’instauration des cours criminelles départementales : des questions importantes

Au vu de ces premières constatations, se posent sûrement à juste titre, les questions de savoir si ces cours constituent en vérité des tribunaux correctionnels du viol, ou bien une sorte de sous-catégorie de cours d’assises pour en connaitre ? N’y aurait-il donc pas une instauration sous-jacente de différentes catégories de crimes, les uns qui devraient être connus par les jurés citoyens, les autres qui ne vaudraient même pas la peine d’être connus par eux ? 

Nous serions bien tentés de considérer ces viols comme une véritable sous-catégorie de crimes, et pour s’en convaincre, retenons que Nicole Belloubet, l’ancienne Garde des Sceaux, et surtout initialement porteuse de cette réforme, avait tenté de rassurer, non sans mal, les défenseurs du jury populaire : « les crimes les plus graves » continueront d’être connus par les cours d’assises… Les crimes les plus graves oui, mais pas les viols (ou du moins certains).


Ces cours ne sont-elles pas en opposition avec la volonté de lutter contre les violences sexuelles ?

A l’occasion des procès de viols en cours d’assises, il est utile de relever le fait que les jurés populaires font l’objet d’une certaine éducation qui leur permet de prendre pleinement conscience d’une réalité contextuelle diverse dans le cadre des affaires de viols dont il leur revient de connaitre (par exemple à l’égard des profils hétérogènes des accusés ou encore des mécanismes employés par les accusés). 

Tout cela n’est donc plus possible pour un grand nombre d’affaires de viols. Les citoyens ne participent plus à la prise de décision finale, voire ceux-ci ne sont plus nécessairement autorisés à être présents dans les salles d’audience. 

Sous ce rapport, Marc Hédrich, magistrat français et président de cour d’assises, a pu déclarer que le viol qui aujourd’hui est trop souvent invisible dans la société ne doit pas être jugé par « une cour invisible » ce qui semble bien être le cas.


Références

https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1487

https://www.jean-jaures.org/publication/retour-sur-la-creation-des-cours-criminelles-departementales/#:~:text=%C3%80%20propos%20des%20cours%20criminelles,compos%C3%A9e%20de%20cinq%20magistrats%20professionnels.

https://www.lexbase.fr/article-juridique/89911321-pointdevuelebilancalamiteuxdescourscriminellesdepartementalesanalysecritiquedudernier

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044545992