Propos introductifs

Au vu des nombreuses affaires pénales d’une importance particulière qui ont trouvé un écho particulier dans la presse nationale et régionale ces derniers mois, il est indéniable que l’opinion publique, « cette prostituée qui tire le juge par la manche » suivant la déclaration de Maître Lombard à l’occasion du procès Ranucci dans l’affaire du pull-over rouge, s’immisce de plus en plus au sein des tribunaux. Il apparaît que celle-ci tend, plus que jamais, à rendre inaudibles les nécessaires débats et les arguments produits par la défense à cette occasion. Sous ce rapport un premier constat semble s’imposer, et non des moindres, dans la mesure où l’émotion semble gagner du terrain, au détriment du droit et des règles en la matière. Ce constat nous pousse finalement à nous demander si les fondements de la justice pénale n’en sont pas sacrifiés, dans tous les cas amoindris ? 

 

L’émotion semble l’emporter sur les règles en matière de droit pénal

Il nous faut rappeler les dispositions contenues au sein de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Celles-ci garantissent en effet le droit à un procès équitable, ce qui induit le respect du contradictoire mais aussi l’indépendance des juges. Néanmoins dans nombre d’affaires médiatisées, l’objectivité nécessaire de la justice semble influencée. La récente affaire Bétharram en constituant un parfait exemple : ainsi, la médiatisation de cette affaire a été telle, conséquemment à la nomination de François Bayrou en qualité de Premier ministre, que la procédure judiciaire a été hâtée, résultant sur des questions relatives au respect des droits de la défense. 


Ce constat se comprend toutefois à l’aune même d’une évolution qu’a connu le droit pénal, sous le prisme d’un courant « victimologique ». Ce dernier contribue à faire primer la parole de la victime au préjudice des garanties procédurales dont doivent également bénéficier les personnes accusées. Ce changement nous pousse à nous poser la question de la finalité, du but du procès pénal : ce procès pénal sert-il à révéler la vérité par une juridiction juridiquement compétente ou bien à répondre à une demande sociale de compensation hâtive ? 

Il est aussi nécessaire de rappeler que la justice ne constitue pas uniquement la résultante de la volonté du peuple. Si tel était le cas, l’arbitraire vaincrait. À ce sujet et sur le plan procédural, la mise en examen est intéressante à relever dans la mesure où elle constitue une mesure d’instruction qui préserve et renforce le caractère protecteur du cadre procédural. Aujourd’hui toutefois celle-ci n’est-elle pas considérée de la même façon qu’une présomption de culpabilité par l’opinion publique ? Ce triste constat trouve d’abord son fondement dans la couverture médiatique de certaines affaires pénales, les réseaux sociaux, mais aussi, plus étonnamment, par les déclarations du parquet avant l’ouverture d’un procès.  

Quid de la revalorisation du statut de la victime ?

Le droit pénal n’a cessé d’évoluer. L’une de ces évolutions réside dans le rôle et le statut attribués aux victimes suite aux reproches formulés à l’encontre du modèle inquisitoire. Les victimes étaient effectivement évincées par les oppositions entre l’individu accusé d’une part, et l’Etat d’autre part. C’est notamment la loi du 15 juin 2000 qui permit de consacrer certains droits aux parties civiles. 

Il nous faut cependant noter que cette évolution, aussi importante et utile soit-elle pour les victimes, résulte sur des contresens. L’affaire des viols de Mazan est un parfait exemple : cette affaire ultra médiatique a mobilisé l’opinion publique à tel point que seuls ou presque les arguments des parties civiles étaient entendus, en défaveur de ceux de la défense, semblant faire fi d’un nécessaire débat contradictoire et où les arguments de chacun sont écoutés, balancés, et mis en confrontation. L’émotion de l’opinion publique est dangereuse, surtout lorsqu’elle s’immisce dans le prétoire et oublie ou balaye d’un revers de la main, au profit de la victime, la présomption d’innocence de l’individu accusé. Peut-être faudrait-il finalement revoir les règles en matière de couverture médiatique des procès ?


Comment donc sauvegarder l’équilibre judiciaire ? 

Il est intéressant en fin de compte de nous intéresser à quelques pistes qui pourraient permettre de sauvegarder l’équilibre judiciaire. Ainsi, par exemple, de mesures nouvelles pourraient être proposées, dans la lignée de la volonté de la Cour de cassation, quant à la couverture médiatique en temps réel de certaines affaires, ce qui permettrait, in fine, de rendre plus sereins les débats. Au vu de la procédure actuelle, il serait peut-être également intéressant de rétablir un équilibre entre les parties civiles d’une part, et les individus accusés d’autre part. Il apparaît également indéniable que l’opinion publique, qui privilégie l’émotion sur l’objectivité dans la plupart des cas, doit être formée, à tout le moins informée, au regard des règles de droit et du fonctionnement même de la justice, ce qui permettrait alors d’assurer le principe du procès équitable. 

Qu’en est-il de la publicité des audiences et de la captation des audiences, comme cela a été proposé par Éric Dupond-Moretti ? Bien que celle-ci puisse contribuer à la transparence des débats, il n’en demeure pas moins que le prétoire et que le procès pénal puissent devenir une scène médiatique. 

Si une couverture médiatique des procès sensibles est importante, il en faut pas non plus oublier que c’est bien le rôle du juge qui est primordial, car celui-ci dit le droit en fonction des faits de l’espèce dont il doit connaître  dans le cadre de ces affaires.

Nous l’avons vu, l’opinion publique et la nouvelle place attribuée à la victime dans le procès pénal ne sont pas sans poser certains questionnement et interrogent en fin de compte sur l’avenir de justice. Il faut bien évidemment prendre en compte la parole de la victime mais cette prise en considération ne saurait éclipser les droits de la défense.

 

Références

https://www.lafrenchcom.fr/faq/clameur-et-rumeur-le-proces-penal-a-lepreuve-des-manifestations-de-lopinion-publique/

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000765204/#:~:text=«%20L'officier%20de%20police%20judiciaire,le%20procureur%20de%20la%20République.

https://www.lespenalistesenherbe.com/post/copie-de-l-opinion-publique-fossoyeur-de-la-présomption-d-innocence