La Cour de Justice de la République : qu’est-ce que c’est ?

Cette mise en examen est l’occasion de revenir sur le rôle tenu par cette juridiction particulière. En effet, la Cour de Justice de la République, créée par la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, juge les ministres selon un régime de responsabilité pénale particulier pour les crimes ou bien les délits que ces derniers auraient commis dans le cadre de leur fonction. Ce régime spécifique fut créé afin de les protéger de manoeuvres pouvant viser à la déstabiliser ; ce régime est finalement prévu par les dispositions de l’article 68-1 et 68-2 de la Constitution.

Cette Cour de Justice de la République est composée de quinze membres, plus exactement quinze juges au titre desquels sont retrouvés douze parlementaires élus par leurs pairs (six députés et six sénateurs) ainsi que trois magistrats du siège à la Cour de cassation. Intervient, dans le cadre de cette procédure, le procureur général de la Cour de cassation ainsi qu’une commission des requêtes qui a pour mission de filtrer les différents recours adressés par les particuliers qui s’estiment lésés par un crime ou bien un délit commis par un ministre. Qui plus est, cet acte (un crime ou un délit) doit nécessairement avoir été commis par le ministre concerné dans le cadre de ses fonctions : l’acte doit de ce fait avoir un rapport direct avec la conduite des affaires de l’État qui relève de ses propres fonctions.

En 2017, Emmanuel Macron souhaitait sa suppression, jugeant cette institution obsolète ; pour sa part, avant lui, François Hollande désirait que la Cour de Justice de la République soit supprimée afin que les ministres soient directement jugés par des juridictions ordinaires, selon lui, au nom du principe d’égalité des citoyens. Reste qu’à ce jour la Cour de Justice de la République existe toujours et a mis en examen l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour sa gestion de la crise sanitaire. Cette dernière a également été placée sous le statut de témoin assisté pour « abstention volontaire de combattre un sinistre ».

Quelques questions en suspens

Quelques questions sont en suspens concernant cette mise en examen de l’ancienne ministre. En effet, l’action de la Cour de Justice de la République pose des questions concernant les actes de gestion gouvernementale (ce qui est le cas pour Agnès Buzyn) en ce que celle-ci s’inscrit dans une frontière relativement poreuse entre responsabilité pénale et responsabilité politique. Il pourrait être considéré qu’Agnès Buzyn soit responsable politiquement, mais non pénalement coupable.

Il est reproché à l’ancienne ministre de la Santé d’avoir mis en danger les citoyens, au début de la crise sanitaire, en prenant ou en ne prenant pas telle ou telle décision. Or pour que soit retenu ce délit de mise en danger de la vie d’autrui, la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité doit être constatée. Ici, il reviendra aux juges de procéder à la définition de cette obligation ; ils devront donc préciser quelle loi ou bien quel décret n’aurait pas été respecté par Agnès Buzyn.

Une précision s’impose également dans ce cas. Effectivement, il n’est pas revenu à la ministre de la Santé d’élaborer la politique de gestion de l’épidémie puisque cette mission est revenue directement au Chef de l’État. Cependant, pour rappel, ce dernier bénéficie d’une immunité. Dans le cas d’Agnès Buzyn, il pourrait simplement être considéré que seule est recherchée la responsabilité pénale de celles et ceux qui appliquent la politique décidée par le Président de la République. De même, il ne revient pas aux juges de préciser les actions que le Gouvernement aurait dû prendre ou non afin de limiter la propagation de la Covid-19 pour protéger les citoyens français.

Finalement, dans le cadre de cette affaire, la Cour de Justice de la République intervient alors même que le Gouvernement est toujours en fonction et qu’il continue d’agir pour contrer la propagation. N’y aurait-il pas, en ce cas, un problème grave au regard de la séparation des pouvoirs ? De même, cette mise en examen ne va-t-elle pas perturber l’action gouvernementale si les membres du gouvernement risquent de voir leur responsabilité pénale engagée pour telle ou telle action, décision ? À ce sujet, Hervé Lehman, un ancien juge d’instruction et avocat au barreau de Paris, a notamment posé la question suivante au journal le Figaro : « pourquoi ne pas poursuivre les ministres de la Santé qui n’interdisent pas la cigarette » alors que le tabac tue chaque année des milliers de Français.


Décisions relevant de la politique et décisions relevant du droit pénal

Pour clore, il conviendrait de retenir qu’il existe des décisions qui sont prises par les membres du Gouvernement et qui relèvent exclusivement de la politique ; d’autres décisions, pour leur part, relèvent effectivement du droit pénal.

De ce fait, concernant les décisions gouvernementales relevant exclusivement de la politique, il devrait revenir au Parlement et finalement aux électeurs français de juger ces actions ; pour les décisions qui relèvent véritablement du droit pénal, seuls les juges pourraient en connaître. La question étant en fin de compte de savoir avec précision ce qui relève de l’un et de l’autre.


Sources :

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Mise en examen d’Agnès Buzyn : la responsabilité pénale des politiques en question - Mediapart
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Agnès Buzyn convoquée par la CJR en vue d’une mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » - Le Monde
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Mise en examen d'Agnès Buzyn : « La politique sanitaire ne doit pas être jugée par les magistrats mais par les électeurs » - Le Figaro