Quels sont les faits de notre espèce ? 

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Cour européenne des droits de l’homme, il s’agit de 161 personnes qui exercent des activités de prostitution, activités qui pour rappel sont licites du point de vue des règles nationales : ces derniers critiquent plus exactement le contenu de la loi française n°2016-444 du 13 avril 2016 qui, selon eux, a eu pour effet de dégrader leur situation mais aussi de les exposer à des risques nombreux. Cette loi méconnaitrait les dispositions de l’article 8 CEDH, à savoir : le droit au respect de leur vie privée. 


En droit français, le fait pour un individu de se prostituer est licite ; cependant il convient de noter immédiatement qu’il est prohibé d’acheter de telles relations (cf. notamment les articles 611-1 et 225-12-1 du Code pénal). Initialement, les requérants ont saisi le Premier ministre d’une demande tendant à ce que soit annulé le décret n°2016-1709 du 12 décembre 2016. Cette demande ayant été implicitement rejetée, ils décidèrent de saisir le Conseil d’Etat d’un recours en annulation pour excès de pouvoir, et de soulever devant ce dernier une question prioritaire de constitutionnalité. L’inconstitutionnalité de la loi ne fut pas reconnue (cf. Cons. const., 01/02/2019, n°2018-761QPC) et le Conseil d’Etat de rejeter la demande, retenant que la loi en question entend poursuivre des « finalités d’intérêt général » et qu’aucune « ingérence excessive dans l’exercice » de ce droit n’est relevée.

Suite à ces différentes fins de non-recevoir, les requérants ont donc été en mesure de saisir la CEDH. 


Qu’ont décidé les juges de la CEDH dans notre espèce ?

Il ressort des dispositions de l’article 8 CEDH que le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti. De ce droit découle « l’autonomie personnelle et [la] liberté sexuelle » des individus. Pour la Cour, le fait de prohiber l’achat d’activités de prostitution revêt la nature d’une ingérence dans ce droit, considérant également que cette prohibition restreint « leur liberté de définir les modalités de leur vie privée. » (cf. CEDH, 27/06/2023, M.A. et autres c/ France, n°63664/19, §43-44). 

Or il nous faut bien garder à l’esprit qu’une ingérence n’est pas nécessairement synonyme de violation d’un droit. Une ingérence peut être admise juridiquement si et seulement si elle est prévue par la loi, qu’elle est nécessaire et proportionnée et qu’enfin elle poursuit un but légitime. En l’espèce, l’ingérence est bien prévue par la loi française, elle poursuit bel et bien des buts légitimes et vise par exemple à la lutte contre le proxénétisme. Ce qu’elle contient permet enfin de protéger l’ordre public, mais également la santé des individus en cause et enfin la sûreté publique. 


La Cour s’est aussi penchée sur la question de la nécessité et de la proportionnalité (et qui fait partie des conditions cumulatives requises) en prenant en compte la marge d’appréciation des Etats en la matière. Cette marge d’appréciation varie et ici la CEDH conclut qu’aussi bien au niveau international qu’européen, toute la question de la prostitution et de sa pénalisation ou non ne fait pas l’objet d’une réponse unanime. Partant, la marge d’appréciation est étendue la concernant. Au regard de la proportionnalité, les juges de la CEDH se sont intéressés de près au contenu de la loi française mise en cause tenant à fois au contexte d’adoption de cette législation qu’aux buts recherchés par celle-ci. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme retient par ailleurs que les parlementaires français ont tenu à ce que la lutte contre la prostitution des mineurs soit également prise en compte. 

Pour clore, il est intéressant de noter qu’il est possible concernant une affaire connue par une chambre, ou bien directement par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, que tierces parties proposent des observations écrites de manière à apporter un éclairage qui s’avère parfois nécessaire au regard d’aspects spécifiques de faits d’espèce. Une partie de notre décision ici commentée relève le contenu de ces observations formulées par des organisations non gouvernementales ou encore par des gouvernements (cf. §94 à 135 de cette décision). Les requérants et les tierces parties sont d’accord sur le fait que l’abrogation du délit de racolage et, de manière subséquente, la dépénalisation des activités de prostitution, résultent sur des bénéfices indéniables. 

Par voie de conséquence, dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par la CEDH, compte tenu de ce qui précède et du fait même de la marge d’appréciation élargie résultant d’une absence de consensus au regard de la question de la prostitution, il fut retenu par les juges de la CEDH que la France, par le travail de ses parlementaires, est parvenue à équilibrer les différents intérêts en cause, parfois antagonistes, et confirme finalement cette loi française qui pénalise les clients ayant recours à des prostitués.