Quelques propos introductifs sur la liberté d’expression en entreprise
Le principe de la liberté d’expression est directement garanti par les dispositions des articles L. 1121-1, L. 2281-1 et L. 2281-3 du Code du travail. Celui-ci est par ailleurs protégé par les dispositions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi celles de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Toutefois, et à l’image de l’ensemble des libertés reconnues et protégées, il n’en reste pas moins que l’abus dans l’exercice de cette liberté n’est pas acceptable ; il est par ailleurs possible que cet abus résulte sur la reconnaissance d’une faute du salarié ; cette faute peut finalement découler sur le prononcé d’une sanction à son encontre et cette sanction peut résider dans la décision, par l’employeur, de le licencier pour faute grave. Pour que soit finalement pleinement apprécié le caractère de l’abus dans l’exercice de cette liberté, les juges, à l’occasion des affaires qu’ils sont amenés à connaitre, s’intéressent par exemple à la position hiérarchique de celui-ci, voire encore au caractère des propos tenus mais aussi la publicité qui en est effectivement donnée.
Les faits de l’espèce
Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 14 juin 2023, il était question du cas d’un salarié qui avait été engagé par une entreprise en qualité de consultant junior et celui-ci, plus spécifiquement, bénéficiait du statut de cadre. Il ressort de la lecture des faits de l’espèce que celui-ci a fait l’objet d’un avertissement de son employeur après avoir tenu un certain nombre de propos qualifiés d’irrespectueux non seulement à l’égard de ses collègues qu’à l’égard de son supérieur hiérarchique. Ce dernier a finalement été licencié.
Mécontent de cette décision, il a décidé de saisir le Conseil des prud’hommes afin que soit examinées les circonstances de son licenciement et ses autres demandes de nature indemnitaire formulées. A cette contestation de la rupture de son contrat de travail, et les juges du premier degré et les juges du second degré sont venus affirmer que le licenciement en question était bel et bien fondé sur une cause réelle et sérieuse, décidant de la sorte d’écarter toutes les demandes indemnitaires formulées par le salarié évincé.
De nouveau mécontent des premières décisions ainsi rendues, le salarié évincé décide de se pourvoir en cassation. Il a par ailleurs soutenu que les propos qu’il a tenus ne revêtaient en rien la nature de propos diffamatoires, injurieux ou encore excessifs de telle manière que ceux-ci, bien qu’effectivement tenus, ne sauraient emporter la reconnaissance d’un quelconque caractère abusif dans sa liberté d’expression. Pour le requérant, la Cour d’appel a en fin de compte méconnu le contenu des dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail.
Pour rappel et avant de s’intéresser au contenu de la décision rendue par les juges de la Chambre sociale, il est intéressant de relever que les dispositions susmentionnées prévoient qu’il n’est pas possible d’« apporter (…) des restrictions » non seulement aux droits des personnes mais aussi aux libertés collectives sauf si celles-ci sont en fait « justifiées par la nature de la tâche à accomplir [ou] proportionnées au but recherché. »
Qu’ont décidé les juges de la Cour de cassation ?
En l’espèce, les juges ont été amenés à s’intéresser aux propos litigieux effectivement tenus par le salarié et plus exactement à la question de savoir si ces propos s’inscrivaient dans le cadre de la liberté d’expression attribuée en entreprise ou alors si ces derniers s’en détachaient tout à fait, de manière à constituer un tel abus dans l’exercice de sa liberté d’expression.
La Cour de cassation décida de rejeter le pourvoi ainsi formé en s’en remettant aux constatations opérées par les juges du fond. Elle retint que les propos formulés étaient non seulement excessifs mais que ceux-ci ont finalement été déterminés à différentes reprises.
En effet, il ressort de la lecture de cet arrêt qu’à l’occasion d’un premier courriel puis d’un second que le salarié avait formulé des propos non seulement irrespectueux mais aussi insultants à l’encontre de son supérieur hiérarchique. Ces propos n’étaient d’ailleurs aucunement justifiés par le contexte qui les entourait. En outre, il ressort de cet arrêt que le salarié concerné avait également tenu de tels propos à l’encontre d’autres salariés directement ou à l’attention de son supérieur hiérarchique et les concernant.
Ce qui est également intéressant à relever, en l’espèce, réside dans le fait que le demandeur au pourvoi n’en était pas à son coup d’essai en ce qu’il avait préalablement fait l’objet d’un avertissement qui avait été prononcé spécifiquement du fait de son comportement et des propos qu’il avait pu tenir envers ses collègues de travail, ces propos ayant par ailleurs été qualifiés de « totalement inappropriés ».
Les juges de la Chambre sociale de la Cour de cassation ont indiqué que, conformément aux dispositions contenues au sein de l’article L. 1235-1 du Code du travail, il revient exclusivement aux juges du fond d’apprécier ou non le caractère abusif de l’exercice de la liberté d’expression reconnue aux salariés. Cet article comprend de réels pouvoirs à leur bénéfice et dont ils peuvent user lorsqu’ils ont à connaitre de faits pouvant entrer dans son champ d’application. De fait, il revient à ces mêmes juges du fond de s’intéresser à la question de la régularité des procédures mises en œuvre mais aussi et surtout à s’intéresser au caractère à la fois réel et sérieux des motifs mis en avant par l’employeur en pareille hypothèse.
Force est finalement de constater, à la lecture de cette décision de juin dernier, que la Chambre sociale n’aura effectué qu’un contrôle laconique, attestant du réel pouvoir que détiennent les juges du fond dans la détermination d’un abus de la part du salarié dans l’exercice de sa liberté d’expression, eu égard à la nature des propos mais aussi du comportement de ce dernier.