Une juridiction spécialisée source de tensions à l'Assemblée nationale
C'est à l'occasion d'une séance relativement houleuse, lors de la niche parlementaire accordée au groupe Les Républicains du Palais Bourbon, qu'une proposition de loi visant à la création d'une juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales fut adoptée en partie avec l'appui des députés de la majorité et contre l'avis du Gouvernement ; sous ce rapport, le ministre de la Justice avait même qualifié le texte en question de « danger (…) et d'hérésie. » Les tensions étaient donc palpables.
La forme que revêtirait cette juridiction spécialisée serait calquée sur le modèle de nos voisins transpyrénéens, qui constituent le modèle parfait en matière de lutte contre les violences intrafamiliales.
Toutefois, ces paroles ont été entendues et vivement critiquées dans la mesure où cette juridiction faisait effectivement partie prenante du programme du candidat Macron lors des précédentes élections présidentielles. Il s'agissait, si l'on se replonge dans son programme, de la création « d'un pôle juridictionnel spécialisé » sur ces difficiles questions et situations.
De nombreux députés se sont interrogés sur ce refus catégorique de la part de l'exécutif, alors même que plusieurs amendements avaient été déposés à l'occasion de plusieurs discussions sur divers textes, notamment l'examen de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur. Et la députée PS, Marie-Pierre de la Gontrie, d'enchérir « [ce] refus est incompréhensible [et va] même au-delà du raisonnable. »
Un texte synonyme d'opposition entre députés et sénateurs Les Républicains
Le texte n'oppose pas uniquement l'exécutif et sa majorité, il oppose également députés et sénateurs Les Républicains. Le texte fut porté par le député LR Aurélien Pradié, qui s'était par ailleurs fait connaître lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, par sa proposition d'un texte visant explicitement à lutter contre les violences intrafamiliales. Ce qui s'est passé au sein du Palais du Luxembourg réside tout simplement dans le refus des sénateurs LR d'adopter des crédits au budget 2023 afin que cette juridiction spécialisée puisse finalement voir le jour. On le voit donc, les membres d'un même parti politique ne sont pas à l'unisson au sein du Parlement.
Mais comment expliquer un tel refus non seulement du Gouvernement, mais aussi des sénateurs LR ? La réponse est somme toute simple. En effet, ces derniers ont avancé la même raison pour ce refus : attendre patiemment les conclusions des travaux parlementaires qui ont été lancés et qui doivent être rendus courant janvier 2023 (cf. les travaux de la mission d'information concernant le traitement des violences intrafamiliales).
Cette attente semble en vérité être synonyme d'abandon complet du texte. En effet, comme expliqué par la sénatrice LR, Agnès Canayer, « il y a peu de chance » que la proposition de loi du député Pradié soit reprise à l'occasion de la niche parlementaire au Sénat, celle-ci précisant que ce délicat sujet nécessite que soit mise en place une véritable réflexion sur « l'ensemble de la chaîne pénale et pas uniquement des magistrats dédiés [à cette juridiction spécialisée]. »
Refus catégorique, mais volonté de présenter des solutions ?
La sénatrice LR Dominique Vérien a indiqué qu'il était nécessaire de trouver des solutions franco-françaises « [adaptées] à notre système judiciaire » en écartant de ce fait « le copier-coller de la justice espagnole », véritable instigatrice en Europe sur ces questions. Cette dernière est en totale opposition avec la proposition de loi émanant du Palais Bourbon par son confrère député, soulignant le fait que ce dernier n'aurait pas « consulté les magistrats [concernés] » avant de la déposer.
S'appuyant sur les propos tenus par le Chef de l'État, celle-ci ajoute que les réponses devant nécessairement être apportées à ces problématiques doivent « s'inspirer des bonnes pratiques » déjà existantes au sein des juridictions françaises ; avant d'ajouter que l'exécutif ne parlerait plus aujourd'hui de juridiction spécialisée, mais plutôt de justice spécialisée en la matière.
En opposition avec ces contre-propositions, la députée PS Marie-Pierre de la Gontrie souligne le fait que les affaires concernant ce type de violences intrafamiliales seront effectivement connues de telles juridictions et que celles-ci ne peuvent « grever le budget », cette ultime critique émanant des opposants à ce texte.
Le ministre de la Justice avait par ailleurs concédé que la création d'une juridiction spécialisée « ne coûte rien » ou presque dans la mesure où les magistrats qui seront chargés de connaître de telles affaires sont déjà en place.
Pourquoi donc le Garde des Sceaux s'oppose-t-il donc à cette création ? Si la raison budgétaire ne semble pas être le fondement de son refus, celui-ci avance notamment les raisons géographiques et les soucis que cela pose en Espagne, insistant sur le fait que les Espagnols « n'en sont pas à 100% satisfaits. » Qu'à cela ne tienne, la députée PS répondait que depuis l'instauration de cette juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales en Espagne, en 2004, le taux de féminicides a chuté de près de 25%. Et cette dernière d'ajouter qu'elle espérait que la proposition de loi en question pourrait être reprise par des sénateurs PS lors de leur niche parlementaire. Ce projet de création sera de nouveau débattu prochainement à l'occasion de l'examen relatif au projet de loi de programmation pour la justice.
Nul doute que cette proposition, si louable soit-elle, mais source de conflits entre partis politiques, sera de nouveau à l'ordre du jour et fera, à juste titre, parler d'elle.
Sources : Le Point, Public Sénat, Actu juridique, DNA