L’actuel droit américain concernant le droit à l’avortement

Le 2 mai 2022, une fuite tout à fait inédite au sein même de la plus haute juridiction américaine a permis au média Politico de pouvoir dévoiler au grand public ce que pourrait contenir l’une des prochaines grandes décisions rendues par la Cour Suprême des Etats-Unis. Les documents publiés par ce site montrent en effet la volonté des juges suprêmes de renverser le droit à l’avortement et ainsi revenir sur un très célèbre arrêt en la matière, arrêt qui en avait légalisé l’usage (cf. arrêt Roe v. Wade).
Les spéculations sur la véracité de ces documents n’ont pas duré bien longtemps puisque la Cour Suprême, elle-même, par un communiqué a fait savoir que le document en question et sur la base duquel l’article de Politico a été rédigé et publié est bien authentique. Dans ce même communiqué il est cependant indiqué que le document ne constitue ni la décision et ni la position finales, cette décision étant en effet attendue à l’été 2022.
Le droit américain à l’avortement a été reconnu par l’arrêt Roe v. Wade, du 22 janvier 1973. Depuis cette décision très importante, il est possible pour toutes les femmes américaines de recourir à une interruption volontaire de grossesse. Ce droit à l’avortement est en effet reconnu à toutes les femmes sur l’intégralité du territoire américain. Cette décision précise finalement que le droit au respect de la vie privée, qui est expressément garanti par la Constitution américaine (cf. dispositions de son 14e amendement), trouve à s’appliquer à l’avortement.
Toutefois il faut ici préciser que cet arrêt fut accompagné par une autre décision rendue le même jour : Doe v. Bolton. Cette dernière prévoit que chaque Etat est en mesure de restreindre le droit à l’avortement pour le cas où la grossesse est avancée.  Ces restrictions sont rendues possibles dans la mesure où le droit à l’avortement n’est pas un droit considéré comme absolu, le recours à une interruption volontaire de grossesse pouvant entre autres être limité au nom « de la protection de la santé, des critères médicaux et de la vie prénatale ». Effectivement, les avortements sont autorisés jusqu’à ce que le seuil de viabilité soit atteint, et donc lorsque le fœtus est en mesure de survivre en dehors de l’utérus ; cela revient à dire que les avortements sont légaux sur tout le territoire des Etats-Unis et ce, jusqu’à 24 semaines de grossesse. C’est donc au-delà de ce délai que chaque Etat peut valablement décider de restrictions au droit à l’avortement.


Les restrictions à l’exercice du droit à l’avortement

Comme indiqué par le communiqué de la Cour Suprême, aucune décision finale ni officielle n’a pour l’heure était prise. Toutefois force est de constater que l’inquiétude grandit parmi la population américaine d’ailleurs majoritairement favorable à ce droit à l’avortement. En effet pour le cas où les juges de cette juridiction décidaient de revenir sur cet arrêt fondateur de 1973, alors le droit américain à ce sujet serait le même qu’avant 1973. Par conséquent, chaque Etat pourrait librement autoriser ou interdire ces interruptions volontaires de grossesse ou en limiter plus ou moins fortement la possibilité. Ils pourraient de ce faire bénéficier à nouveau d’une pleine compétence en la matière.  
Par ailleurs, l’interdiction du recours à l’IVG constituerait sans grande surprise la solution la plus mise en œuvre par les Etats républicains. De plus, il convient d’observer que ces mêmes Etats ont déjà pris un ensemble de règles visant à restreindre de manière plus ou moins conséquente l’exercice de ce droit. En ce sens et par exemple, une loi du Texas, entrée en vigueur le 1er septembre dernier, interdit aux femmes de recourir à l’IVG après 6 semaines de grossesse. Dans une décision rendue fin 2021, la Cour Suprême avait décidé de ne pas bloquer cette loi anti-avortement démontrant de la sorte une volonté certaine de ne pas s’opposer à ces restrictions et encore moins de défendre le droit à l’avortement.
A l’époque déjà, cette décision avait pu faire dire à certains observateurs que les juges de cette haute juridiction pourraient restreindre encore davantage l’exercice de ce droit voire son existence dans des décisions futures. C’est ce qui pourrait en effet subvenir d’ici juillet 2022. Preuve pourrait en être le contenu même de l’avant-projet de décision du juge Samuel Alito et publié par Politico. On peut en effet y lire que bien que l’arrêt Roe v. Wade ait considéré que la Constitution américaine protège le droit à l’avortement, il n’en demeure pas moins que cette même constitution n’empêche en aucun cas les « citoyens de chaque Etat [à] réglementer ou interdire l’avortement », ce droit n’étant pas selon lui « profondément enraciné dans l’histoire et les traditions de la nation ». Pour son auteur, il faut appliquer la Constitution et donc renvoyer aux représentants élus le soin de légiférer en la matière.


Ces considérations qui apparaissent majoritaires parmi les juges de la Cour Suprême s’expliquent notamment par la présidence du républicain Donald Trump qui a permis à cette juridiction d’être majoritairement dominée par les conservateurs. En effet sur les neuf juges que comptent la Cour Suprême, six d’entre eux sont conservateurs.
Si la décision finale correspondait à celle envisagée dans l’avant-projet qui a fuité, il pourrait être envisageable que ces mêmes juges procèdent à des revirements d’autres décisions de la Cour Suprême comme la légalisation des mariages mixtes…


Références
https://www.politico.com/news/2022/05/02/supreme-court-abortion-draft-opinion-00029473
https://www.francetvinfo.fr/societe/ivg/la-cour-supreme-des-etats-unis-prepare-la-fin-du-droit-a-lavortement-selon-un-document-revele-par-politico_5115973.html
https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/03/qu-est-ce-que-l-arret-roe-versus-wade-qui-a-ouvert-le-droit-a-l-avortement-aux-etats-unis-en-1973_6124632_3224.html
https://www.britannica.com/event/Roe-v-Wade
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/10/loi-anti-avortement-au-texas-la-cour-supreme-autorise-les-tribunaux-federaux-a-intervenir-contre-le-texte_6105586_3210.html
https://supreme.justia.com/cases/federal/us/410/179/