Les faits de l’espèce

Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH), en date du 24 octobre 2024, il s’agissait d’une femme participant à une manifestation interdite à l’occasion des mouvements « gilets jaunes » ; celle-ci s’est vue infliger une amende d’un montant de 150€ (cf. Eckert c/ France, n° 56270/21). Mécontente, celle-ci décide de former des recours, sans succès, auprès des différentes juridictions françaises compétentes. Elle décida finalement de saisir la CEDH considérant qu’il s’agit là d’une atteinte à sa liberté de réunion et d’association.

Au sens de l’alinéa premier de l’article 11 Conv. CEDH, celui-ci garantit la liberté de réunion pacifique et d’association à toute personne. Cette liberté comprend différentes facettes, notamment le fait de manifester pacifiquement. L’on comprend, à la lecture de cette décision, que rien ne permet finalement d’indiquer que les manifestants aient fait preuve d’intentions violentes (cf. §37). De ce fait, cet article 11 est bel et bien applicable au cas d’espèce ; la sanction en question revêt donc une restriction. Il convient immédiatement de retenir qu’une restriction peut toutefois être admise pour le cas où trois conditions cumulatives sont rencontrées conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de cet article 11 : ainsi, la restriction doit être fondée sur une base légale ; poursuivre un but légitime ; enfin, être non seulement nécessaire mais aussi proportionnée



Une restriction fondée sur une base légale

Ici nous allons nous intéresser à l’exigence de légalité devant réunir quatre composantes. Il convient que la restriction dispose d’une base juridique interne, et des qualités de la légalité. L’atteinte doit alors être fondée sur une base légale, accessible au justiciable, prévisible quant à ses effets, et finalement offrir une protection contre les risques d’atteintes arbitraires par la puissance publique. Conformément à l’arrêt de la Grande chambre CEDH, du 15 novembre 2018, « l’étendue et les modalités » d’exercice de ce pouvoir doivent être définies avec « une netteté suffisante » (cf. §155 de la décision susmentionnée, Navalny c/ Russie, n° 29580/12).


En l’espèce, l’article R.644-4 du Code pénal revêt la nature d’une base légale de la sanction dont se plaint la requérante en l’espèce, de même que l’arrêté en question qui interdit la manifestation. Concernant l’accessibilité des dispositions en question (cf. §51), celles-ci le sont clairement pour la CEDH, d’autant plus que l’arrêt fut publié au recueil des actes administratifs et le contenu partagé par un communiqué de presse. Eu égard à la prévisibilité, il est fait mention que la mention de « manifestation sur la voie publique » telle qu’utilisé par l’article R.644-4 précité est sans équivoque mais aussi définie par la jurisprudence française. L’infraction en cause ne sera finalement constituée que pour le cas où un individu prend part à une manifestation pourtant prohibée par voie d’arrêté. Si un individu se situe sur les lieux d’une telle manifestation, par hasard, il n’est pas possible de considérer ce fait comme constitutif d’un acte de participation (cf. en ce sens Cass. crim., 08/06/2021, n° 20-87-257). De même, bien que l’article R.644-4 du Code pénal renvoie aux dispositions de l’article L.211-4 du Code de la sécurité intérieure ne saurait résulter sur la reconnaissance d’une norme imprévisible. Ce renvoi ne conduit pas cette norme à être imprévisible, ce qui est bien le cas dans notre espèce. Enfin, concernant les garanties contre les atteintes arbitraires, il est retenu par les juges de la CEDH que le droit français contient des garanties suffisantes à cet effet. Effectivement, l’article L.211-4 susmentionné restreint cette possibilité d’interdiction de manifestations uniquement si elles ont lieu sur la voie publique et si un risque qu’elles troublent l’ordre public existe. Sous ce rapport, au sens de l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 décembre 2023, un tel recours à une interdiction doit non seulement être adapté et nécessaire mais aussi proportionné aux circonstances de l’espèce, et finalement décidé que si aucune autre forme de recours ne peut être employé (cf. n° 487984). Au surplus, l’arrêté d’interdiction effectivement pris peut être contrôlé par un juge administratif ou pénal (cf. art. 111-5 du Code pénal français), ce contrôle constituant donc une garantie supplémentaire à ce sujet. 

Au vu de ces éléments, l’exigence d’une base légale est bien rencontrée (cf. §60).

Quid du but légitime et de la nécessité et de la proportionnalité ?

La CEDH relève que le but légitime effectivement poursuivi réside dans la défense de l’ordre, mais aussi dans la protection des droits d’autrui ainsi que dans la prévention des infractions (cf. §61). Ensuite, concernant la nécessité, celle-ci est évalué compte tenu des circonstances du jour où l’interdiction est prise et en a conclu qu’« un risque sérieux d’affrontements violents » existait (cf. §70) ; la Cour relève aussi que la manifestation n’avait pas été déclarée, en méconnaissance de l’article L.211-1 susmentionné. Même si cette absence de déclaration ne saurait en elle-même justifier une telle restriction (cf. CEDH, 09/04/2002, Cissé c/ France, n° 51346/99, cf. §50), le fait est, tout de même, que les autorités nationales ne peuvent en pareille hypothèse utilement évaluer les risques, mais aussi les anticiper. Pour la CEDH, l’interdiction était délimitée dans le temps et dans l’espace et que les manifestants pouvaient tout à fait se réunir en dehors de la zone visée (cf. §72).

Enfin, pour la CEDH, il est loisible aux Etats de réprimer les personnes qui participent à une manifestation interdite si et seulement si celle-ci est conforme à ce que prévoit la Convention, ce qui est le cas ici. Il fut demandé à la requérante de quitter les lieux, ce qu’elle refusa, et se vit donc infliger une amende de 150€ et fit l’objet d’un contrôle d’identité. Pour la CEDH, ces faits ne sont pas disproportionnés. 

Vu l’ensemble de ces éléments, l’article 11 Conv. CEDH n’a pas été violé.


Références

https://hudoc.echr.coe.int/#{%22itemid%22:[%22001-237441%22]}

https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-187880%22]}

https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-64972%22]}

https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-158232%22]}