Quels sont les faits de l'espèce ?
Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Cour européenne des droits de l’homme, en date du 12 décembre 2024, il s’agissait spécifiquement de violences domestiques ayant un caractère particulièrement grave dont a été victime une citoyenne arménienne, par son ancien concubin. Malgré le fait d’avoir déposé plainte à son encontre, et malgré le fait d’avoir demandé à être la bénéficiaire d’un dispositif de protection auprès des autorités arméniennes compétentes, contre son concubin, cette dernière continua d’être la victime de telles violences, perpétrées par celui-ci, et fut la victime de menaces. Il ressort également des faits de l’espèce que celle-ci fut agressée publiquement en pleine rue. En dépit d’une peine en effet prononcée au pénal à son encontre, son ancien concubin bénéficiant d’une amnistie n’eut pas à exécuter sa peine.
La requérante a invoqué les dispositions de trois articles de la Convention européenne des droits de l’homme, à savoir : les dispositions de l’article 3 (qui prohibent les traitements inhumains ou les traitements dégradants) ; l’article 8 (qui garantit le respect de la vie privée et familiale) ; et, enfin, l’article 13 (qui garantit le droit à un recours effectif). A l’appui de sa demande, la citoyenne arménienne concernée considérait, en vérité, que les autorités arméniennes compétentes ne l’avaient pas protégé lorsque les poursuites pénales étaient alors en cours, contre son ancien concubin ; elle reproche en outre aux autorités arméniennes de ne pas avoir prononcé à l’encontre de celui-ci une peine proportionnée ; enfin, elle reproche aux autorités arméniennes de ne pas avoir fait en sorte que celui-ci purge effectivement la peine prononcée à son encontre. Pour elle, également, sur le plan strictement civil, elle considérait être totalement dépourvue de moyens légaux à l’effet de demander et d’obtenir ensuite réparation du préjudice moral dont elle s’estime victime, ce qu’elle critiqua devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Qu’ont décidé les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Dans leur décision rendue le 12 décembre dernier, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont considéré que l’article 3 susmentionné avait en effet été méconnu : pour eux, l’Etat arménien a méconnu son obligation de réagir de façon adéquate à des violences domestiques graves. Pour eux encore, l’Etat arménien a méconnu l’obligation qui vise à ce qu’une victime soit en mesure de demander, à son auteur, à ce que le préjudice moral dont elle se plaint soit en effet réparé.
Ici, donc, il est reproché aux autorités arméniennes, bien qu’elles en aient été alertées, de ne pas avoir instauré de mesures visant à ce que la poursuite des violences domestiques à l’encontre de la victime soient stoppées. Par cette décision, surtout, il convient de noter que les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont édicté une nouvelle obligation dont sont bénéficiaires les victimes de violences domestiques : cette obligation positive se fonde précisément sur la nécessité pour les Etats de permettre une indemnisation des préjudices moraux dont se plaignent les victimes.
Il convient maintenant de relever qu’une telle sanction à l’encontre d’une inertie des autorités dans le cadre de la protection des victimes de violences domestiques ne revêt pas de caractère inédit. C’est ainsi que sur la base juridique des dispositions de l’article 2 de la Convention susmentionnée, article qui protège le droit à la vie, il avait préalablement été décidé de reconnaitre la carence d’un Etats qui n’avait pas pris « les mesures d’ordre pratique » (typiquement par la loi pénale) afin de protéger les victimes contre des menaces physiques dont elles pourraient faire l’objet. Tel fut par exemple le cas dans son arrêt rendu le 9 juin 2009 (cf. Opuz C/Turquie, n° 33401/02) au cours duquel les autorités policières n’avaient pas prévenu ni réprimé la poursuite de telles violences contre une victime.
Par ailleurs, sur un autre fondement, à savoir : celui de l’article 14 de ladite Convention, la Cour européenne avait pu assimiler les violences conjugales à un type de discrimination contre les femmes. Elle avait pu considérer que les autorités étatiques avaient adopté une attitude passive concernant des faits analogues (cf. en ce sens, CEDH, 28/05/2013, Eremia c/ Moldova, n° 3564/11). Elle avait considéré que l’inaction des autorités contre des violences perpétrées par un père de famille contre son épouse et ses enfants constituait une forme de caution desdites violences domestiques à leur encontre et revêtait la nature d’une discrimination à l’égard de celle-ci.
Finalement, il nous faut bien garder en tête que c’est la toute première fois que les juges ont décidé de consacrer un tel droit à la protection de l’intégrité physique et surtout morale aux victimes, sur le fondement de cet article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, afin que celles-ci puissent obtenir la réparation du préjudice moral subi et résultant de ces violences domestiques. Plus exactement, il s’agit pour les juges de la Cour européenne de « garantir que les Etats prennent en compte l’étendue de leur préjudice (…) également psychologique. » Il en résulte in fine que tout Etat de droit est contraint de permettre à toutes les victimes de telles violences de demander à ce que leur préjudice moral soit indemnisé et ce, de manière complémentaire à toute forme de dommage corporel dont elles peuvent aussi demander la réparation.
Notons que les victimes françaises de violences conjugales sont en mesure d’en demander l’indemnisation à l’occasion de la procédure pénale ou bien encore devant le juge civil compétent. L’indemnisation du préjudice moral des victimes est par ailleurs garantie par l’Etat français.
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Références
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22002-14419%22]}
https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-92946%22]}
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22002-7616%22]}