L’incompatibilité existant entre le mandat de député et les fonctions ministérielles n’a pas d’effet sur l’exercice desdites fonctions
Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat, en date du 18 septembre 2024, il s’agissait d’une demande formulée par deux associations, ainsi qu’un groupe parlementaire, auprès du Conseil d’Etat visant à ce que soit annulé un décret pris le 19 juillet 2024 par le Premier ministre, Gabriel Attal, relatif au « traitement des données opérationnelles de cyberdéfense ». Ils considéraient en effet que ce dernier, qui avait déposé sa démission auprès du Chef de l’Etat, n’était alors plus compétent pour ce faire, en ce que la veille de la signature de ce décret, il avait participé à l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale en qualité de député. Ce faisant, pour les demandeurs, le Premier ministre de l’époque avait par conséquence opté pour son mandat parlementaire.
Dans cette décision, les juges de la Haute juridiction administrative ont explicitement évoqué le fait que même pour le cas où le texte constitutionnel suprême dispose que les fonctions ministérielles ne sont pas compatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire, ce principe est par lui-même sans conséquence à l’égard de l’exercice des fonctions ministérielles du Premier ministre démissionnaire.
Pour juger ainsi, les juges ont basé leur décision sur les dispositions contenues au sein de l’article 23 de la Constitution : ces dispositions prévoient que les fonctions ministérielles ne sont pas compatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire. Toutefois, de ce texte, il se dégage la règle suivante : lorsqu’existe un cumul entre un mandat parlementaire et des fonctions ministérielles, l’intéressé est en vérité remplacé dans son mandat parlementaire. Par conséquent, par ce remplacement prévu, l’exercice de ses fonctions ministérielles par l’intéressé n’est pas directement affecté. Ces dispositions étant rappelé, ils ont considéré que le texte constitutionnel ne prévoit pas qu’une telle situation d’incompatibilité empêche effectivement un ministre d’exercer ses fonctions gouvernementales. Sur ce fondement, les juges ont donc retenu qu’il n’est pas possible pour les demandeurs d’opposer le contenu de l’article 23 de la Constitution afin d’obtenir l’annulation du décret en cause.
Au surplus, les demandeurs souhaitaient que le Conseil d’Etat procède à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (une QPC) auprès du Conseil constitutionnel, question qui devait intéresser la loi organique de 1958 précisant les conditions de remplacement des députés qui sont devenus ministres. Cependant, cette demande n’emporta pas l’accord du Conseil d’Etat qui considéra que la loi susmentionnée, concernant précisément son objet, était dépourvue de lien avec le litige concerné, à savoir : la demande d’annulation dudit décret. Cette question ne fut donc pas transmise au Conseil constitutionnel, conformément aux règles contenues au sein de l’article 61-1 de la Constitution.
Le commentaire de cette décision constitue également l’occasion pour nous de revenir en quelques points sur la question des incompatibilités devant être respectée par les députés.
Le principe de l’incompatibilité en droit constitutionnel et parlementaire
Tout d’abord, il nous faut définir cette notion qui se comprend comme une impossibilité légale de cumuler des fonctions déterminées (publiques et privées) avec un mandat parlementaire, et, suppose que l’élu de la Nation effectuer un choix.
Nous pouvons d’abord retenir les incompatibilités avec les fonctions publiques électives. Ainsi, diverses incompatibilités existent, notamment les cumuls de mandats entre député et sénateur, ou député et membre du Parlement européen. D’autres fonctions publiques électives sont aussi visées par la loi, par exemple le cumul entre mandat parlementaire et fonction de maire.
Retenons ensuite les incompatibilités qui existent avec les fonctions publiques non électives et ce, dans le but particulier d’éviter tout lien de dépendance entre pouvoirs ou autorités. C’est précisément le cas du cumul entre mandat parlementaire et fonctions ministérielles.
Enfin, retenons les incompatibilités avec les autres activités professionnelles. Les parlementaires ne sont donc pas autorisés à exercer certaines fonctions prédéterminées dans des catégories d’entreprises et ne sont pas non plus en mesure d’accomplir certains actes, du fait d’une proximité étroite avec la puissance publique. Ne sont pas concernés les parlementaires qui ont été désignés en tant que membres du conseil d’administration eu égard au contenu des textes qui organisent les entreprises nationales ou encore les établissements publics.
Finalement notons que pour que soient utilement contrôlées les activités professionnelles qui sont incompatibles avec le mandat parlementaire par les services du Bureau de l’Assemblée, les députés sont tenus de lui remettre de même qu’à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans un délai déterminé de deux mois après leur entrée en fonction, une déclaration des activités professionnelles ou d’intérêt général que ces derniers souhaitent poursuivre. Si ce dépôt n’est pas effectué, alors le Conseil constitutionnel prononcera la démission d’office du parlementaire concerné ainsi que son inéligibilité. S’il existe un doute ou une contestation au regard de la compatibilité d’une activité, le Bureau, mais aussi le Garde des Seaux ou encore le parlementaire sont en mesure de saisir le Conseil constitutionnel qui, s’il juge l’incompatibilité d’une fonction, lui octroiera un délai de trente jours afin qu’il puisse mettre sa situation en conformité. En cas d’absence de régularisation, celui-ci sera considéré comme démissionnaire d’office de son mandat par les juges constitutionnels.