Un manque de temps et de moyens pour rendre la justice

Pour Muriel Corre, juge des libertés et de la détention au Tribunal de Lorient, et actuelle déléguée régionale adjointe de l'USM (Union Syndicale des Magistrats), la situation de la justice française n'est plus tenable et des changements doivent nécessairement intervenir. En effet, cette dernière déplore ce qu'est devenu le monde judiciaire et la rapidité avec laquelle la justice doit dorénavant être rendue dans l'Hexagone et ce, « au détriment de la qualité (…), de l'écoute du justifiable [et de la] propre santé [des magistrats]. »

Celle-ci a par ailleurs ajouté qu'il est de plus en plus compliqué pour les magistrats et les autres professionnels de la justice de se prononcer et de connaître les dossiers dans des délais dits raisonnables. Cette situation est le résultat à la fois d'un manque de moyens alloués à la justice, mais aussi à un manque criant de personnels dans les juridictions. La justice ne peut alors plus être rendue correctement, comme elle est supposée l'être en effet.

Une discordance entre la réalité du terrain et les attentes de l'administration

Il convient ici de noter, concernant cette mobilisation, que les magistrats grévistes sont également suivis dans leur mouvement par des greffiers et des avocats. Toutes ces différentes professions agissant de concert démontrent une réelle souffrance commune.

À cet égard, Pierre Guillon, l'actuel bâtonnier du Tribunal de Lorient, a considéré qu'il est impossible que la situation actuelle des tribunaux français puisse perdurer. Celui-ci regrette en effet que le Gouvernement attend des professionnels qu'ils puissent « faire mieux avec moins de personnel », avant d'ajouter que les avocats font cause commune avec leurs collègues magistrats et greffiers. Il s'agit, ici, pour Natacha Aubeneau, la secrétaire nationale de l'USM, d'un « point de rupture » entre la réalité du terrain et l'administration.

Ce qui est également notable dans ce mouvement de mobilisation et de contestation réside dans le fait que la Cour de cassation a dernièrement déploré la situation de la justice française, « qui n'est plus en mesure d'exercer pleinement sa mission dans l'intérêt des justiciables. » À ce propos, Pierre Guillon salue l'importance de ce soutien de la part de la hiérarchie judiciaire et conclut que ce soutien public est « quelque chose d'assez fort pour [ces professions] » effectivement soumises à un droit de réserve important.

Quid de la question des contractuels ?

Face au manque de moyens chroniques de la justice, et pour faire face à un nombre sûrement insuffisant de professionnels, existerait une solution : celle des emplois contractuels. Le recours à des personnes contractualisées est considéré par le Gouvernement comme une solution ; et, par ailleurs, ce recours aux contractuels constitue la grande majorité des recrutements qui ont eu lieu dernièrement.

Toutefois, ces derniers ne sont pas sans poser certaines difficultés auxquelles doivent également faire face les magistrats et autres personnels de justice au sein des juridictions.

En effet, comme l'indique expressément à Franceinfo Thibaut Spriet, magistrat au Tribunal judiciaire de Rennes, les contractuels sont formés par les magistrats déjà en activité dans la mesure où ils n'ont pas (encore) passé le concours de la magistrature. Or leur formation est chronophage et surtout nombre de contractuels ne voient pas leur contrat renouvelé à son terme. Ce recours semblerait être une solution sur du court terme, mais n'apparaît pas réellement comme une solution pérenne.

La souffrance des professionnels de la justice comprise par le Gouvernement ?

La souffrance partagée par les professionnels de la justice revêt le caractère d'une « unanimité assez inédite » pour Katia Dubreuil, l'actuelle présidente du Syndicat de la magistrature.

Néanmoins, Éric Dupond-Moretti, le Ministre de la Justice, avait provoqué de vives réactions alors qu'il avait assuré que le budget attribué à la justice, conséquent et « historique », selon ses termes, avait permis de la réparer. Ce dernier avait effectivement fait savoir à l'occasion d'une conférence de presse que le bilan qu'il tirait des actions menées par le Gouvernement était bien plus positif que celui des années (et des quinquennats) précédentes. De même, le Garde des Sceaux avait fait savoir que près de 400 auditeurs de justice rejoindront les juridictions à compter de 2023, et avait assuré que de nombreux postes seront créés dans les juridictions de proximité afin d'affermir le nombre de professionnels qui y exercent.

Celui-ci a finalement indiqué, mardi 14 décembre, qu'il avait entendu les attentes du monde de la justice, de même que son mal-être général, avant de conclure qu'il mettrait tout en oeuvre afin de pallier les difficultés tout d'abord liées aux conditions de travail, puis au fonctionnement de la justice.

Pour l'heure, reste à découvrir à quelques mois de l'élection présidentielle, ce qui pourrait être proposé à la suite de cette grève et finalement ce qui pourrait effectivement changer pour les juridictions et les professionnels de la justice.

Sources : France 3 régions, Actu juridique, Le Point, Actu, Syndicat magistrature