Quels étaient les faits de l’espèce et la procédure ?
Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale, il s’agissait de s’intéresser à la légalité de l’utilisation de la géolocalisation afin de contrôler la durée du travail d’un salarié et a permis, in fine, d’en préciser davantage les contours.
- La durée de travail
- Les manquements aux règles légales et conventionnelles en matière de durée du travail
Un salarié avait été engagé par une société en qualité de distributeur de journaux et d’imprimés publicitaires. Cependant cette dernière décidant quelques années plus tard de mettre en application un système de géolocalisation afin de procéder au contrôle du temps de travail de ses salariés. Toutefois, celui-ci considérait que ce système portait une atteinte à sa liberté dans l’organisation de son travail d’une part, une atteinte à sa vie privée d’autre part. Ce dernier fut en fin de compte licencié en 2015 et décida de mettre en route une action en justice, considérant son licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, selon lui, l’utilisation de ce système dans le but de contrôler sa durée de travail n’était en rien justifiée dans la mesure où il disposait en effet d’une liberté dans l’organisation de son travail. Il appuyait son argumentaire sur les dispositions de l’article L.1121-1 du Code du travail, relativement à la justification de l’atteinte portée aux droits ou aux libertés individuelles et collectives des personnes, atteintes possiblement autorisées si elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir [et] proportionnées au but recherché. » A cet argumentaire, l’ancien employeur considérait que l’instauration de ce système constituait le seul moyen efficace afin de contrôler ce temps de travail du fait même des caractéristiques particulières de son activité (il travaillait principalement en dehors des locaux de l’entreprises et à des horaires non fixes).
Pour la Cour d’appel, ce système ne porte pas atteinte à sa vie privée car, compte tenu de la nature de ses tâches, et du fait qu’il travaille en dehors de l’entreprise, et à des horaires non fixes, celui-ci constitue l’unique moyen afin que soit contrôlé le temps de travail du salarié. Mécontent de cette décision, le salarié décida de se pourvoir en cassation.
Qu’a décidé de retenir la Cour de cassation ?
Dans notre décision, la Chambre sociale décida de casser partiellement la décision rendue par la Cour d’appel, rappelant notamment le contenu de l’article L. 1121-1 précité, notamment en ce qu’il dispose que l’utilisation d’un tel système ne sera considérée comme licite que pour le cas où le contrôle en cause « ne peut être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace. »
En l’espèce, elle désapprouva les juges d’appel en ce que l’absence de liberté du salarié dans l’organisation de son travail n’a pas été établie, et, que la géolocalisation était en effet le seul moyen pour procéder à ce contrôle. Pour elle, les motifs de la Cour d’appel dans son arrêt étaient non seulement inopérants mais surtout insuffisants afin de justifier les atteintes portées aux libertés susmentionnées du salarié.
Cette décision de la Cour de cassation constitue pour elle l’occasion de rappeler les règles qui entourent la géolocalisation : pour elle, il s’agit d’un système qui doit être employé dans le strict respect des libertés des salariés concernés. Il reviendra alors à tout employeur d’apporter la preuve que ceux-ci ne bénéficient pas d’une liberté dans l’organisation de leur travail et que la géolocalisation constitue le seul moyen afin de contrôler la durée du travail (et qu’il n’existe aucune autre option à leur disposition, même moins efficace). Si l’employeur n’est pas en mesure d’apporter cette preuve, dans ce cas, le dispositif mis en œuvre sera considéré comme illicite et porte donc atteinte aux droits et aux libertés des salariés.
La Cour de cassation a parlé de la liberté dans l’organisation du travail du salarié, mais de quoi s’agit-il concrètement ? Cette notion est importante dans la mesure où tout salarié qui est en mesure de déterminer ses horaires de travail de manière libre, et qui peut également fixer la façon d’exécuter ses tâches ne saurait valablement être soumis à une surveillance qualifiée d’intrusive de la part de son employeur sans qu’il n’apporte une justification valable. Il convient que l’employeur respecte cette autonomie du salarié sauf à imaginer des impératifs de nature légitime qui le commandent.
De même, il est nécessaire que l’employeur respecte le principe de proportionnalité. Autrement dit, les mesures de surveillance en cause doivent non seulement revêtir la nature de mesures nécessaires mais elles doivent en parallèle être proportionnés au but recherché par l’employeur conformément aux dispositions contenues au sein des dispositions des articles L.1121-1 susmentionné, et L. 1222-4 du Code du travail.
Quid des autres possibilités que la géolocalisation ? Avant de la mettre en œuvre, il revient à l’employeur de concevoir d’autres moyens afin de contrôler le temps de travail du salarié (il pourra s’agir, entre autres, d’horaires planifiés).
Dans tous les cas, il convient de noter que tout employeur se doit d’informer mais aussi de consulter les instances représentatives du personnel avant tout déploiement d’un tel dispositif, d’un tel système de géolocalisation employé à cette fin. Sous ce rapport, il faut noter que les salariés doivent en être informés de manière individuelle, notamment à l’égard des données effectivement collectées par le dispositif.
Dans notre cas d’espèce, finalement, la Chambre sociale de la Cour de cassation axe son raisonnement sur le nécessaire respect des droits et des libertés individuelles des salariés et souligne l’importance de la justification et de la proportionnalité dans toute atteinte qui leur serait portée.
- Droit du travail : organisation du travail, types de contrats et cessation du contrat de travail
- Les obligations du salarié découlant de la relation de travail
Références
https://www.voltaire-avocats.com/fr/controle-du-temps-de-travail-via-un-dispositif-de-geolocalisation-une-faculte-encadree/#:~:text=soc.%2C%2025%20septembre%202024%2C,des%20fonctions%20par%20nature%20itin%C3%A9rante.
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000050290729?init=true&page=1&query=22-22.851&searchField=ALL&tab_selection=all
https://ldem-avocats.fr/actus-juridiques/
https://open.lefebvre-dalloz.fr/actualites/droit-social/semaine-jurisprudence-sociale-cour-cassation_fa43f222c-e379-4762-9390-58c0bf020983