Quelle est la portée juridique du terme « féminicide » ?

Depuis maintenant plusieurs années existent de nombreux débats concernant l’inscription du terme « féminicide » au sein de notre code pénal. Ce constat est d’autant plus vrai qu’en 2020 avait été instaurés une mission parlementaire ainsi qu’un rapport de l’Assemblée nationale au regard de « la reconnaissance » de cette notion. Force est toutefois de constater, en dépit de ces débats, que le terme fait désormais partie intégrante du débat politique et médiatique et est dorénavant inscrit dans le dictionnaire. 

Se posent quelques questions au regard de ces premières constatations : bien que théorisé il y a près de trente ans maintenant, cette notion doit-elle nécessairement être consacrée sur la plan juridique ? Cette inscription dans le code pénal et donc dans l’arsenal juridique français impacterait-elle le fond du droit ou celle-ci revêtirait-elle une simple question de forme ? Si de nombreuses associations féministes bataillent l’inscription de ce terme exacte, d’autres acteurs considère qu’il serait préférable d’inscrire le terme « uxoricide », renvoyant au fait de tuer l’épouse (et non la femme). 


Le « féminicide » n’existerait-il pas déjà en droit pénal français ?

Sur le fond du droit pénal, il existe déjà un ensemble de règles permettant de punir le féminicide, ces règles permettant de prononcer des peines lourdes pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité. Il convient immédiatement de noter que le droit pénal actuel ne considère en rien le féminicide comme étant constitutif d’une infraction dite autonome : en vérité, il s’agit d’un meurtre aggravé tout d’abord par rapport au fait qu’il a été commis du fait du sexe de la victime ou bien encore parce qu’il a été commis par le conjoint, concubin ou partenaire pacsé ou par l’ex-conjoint, l’ex-concubin ou l’ex-partenaire pacsé pour le cas particulier où le meurtre en question a été commis du fait des relations passées entre la victime et l’auteur de l’infraction. Ces règles sont prévues par les dispositions contenues au sein de l’article 132-77, l’article 132-80 et enfin l’article 221-4 du code pénal


Forts de ce constat, l’on comprend donc que le droit pénal français comprend en effet des règles mais que celles-ci sont neutres : l’on a ainsi abandonné certains termes pourtant utilisés jusqu’alors à l’image de l’infanticide, afin d’admettre entièrement le fait que la loi pénale est universelle et qu’il existe effectivement, utilement un également de traitement entre l’ensemble des citoyens, qu’ils soient hommes ou femmes, devant le droit pénal. 

La reconnaissance juridique du terme « féminicide » : un parcours du combattant ? 

S’il est indéniable que la doctrine majoritaire aujourd’hui préconise de pas inscrire cette notion au sein du code pénal, il n’en demeure pas moins que nous pouvons aisément nous interroger sur les arguments en faveur d’une telle inscription au sein du code pénal et donc d’une reconnaissance effective et réelle de ce terme du point de vue juridique afin d’en faire, in fine, une infraction autonome

Cette reconnaissance juridique du « féminicide » pourrait enfin permettre de donner une visibilité efficace de ces meurtres qui continuent de faire la une de la presse écrite et télévisée malgré une volonté politique forte d’en réduire le nombre. 

Aussi, cette reconnaissance pourrait permettre de retenir la qualification pénale la plus appropriée possible compte tenu de sa nature, permettant par conséquent de ne plus s’intéresser aux circonstances aggravantes qui sont aujourd’hui la règle en la matière. Toutefois ces constatations étant opérées, il nous faut ici souligner le fait que pour le cas où il n’y aurait pas la production de preuves suffisantes, ou bien si l’élément intentionnel de l’infraction n’est pas rencontré dans le cadre de la poursuite de l’auteur du meurtre, alors tomberait nécessairement la qualification du féminicide…


D’un point de vue plus pratique, le texte en lui-même serait difficile à élaborer parce qu’il n’existe aucune définition du « féminicide » qui emporte aujourd’hui l’unanimité (quelques questions, non exhaustives, s’imposent alors à nous : s’agit-il tout bonnement du meurtre d’une femme ? du meurtre d’une femme parce que celle-ci est femme ? du meurtre d’une femme démontrant la volonté masculine de domination sur celle-ci ?). 

Il nous faut aussi bien garder à l’esprit que cette reconnaissance et cette inscription de ce terme au sein du droit pénal emporteraient nécessairement (ou presque) la censure des juges du Conseil constitutionnel qui seraient amenés à vérifier la constitutionnalité de la nouvelle loi au regard de notre norme suprême supérieure : ceux-ci seraient vraisemblablement amenés à considérer comme inconstitutionnelle cette reconnaissance, expressément du fait d’une méconnaissance du principe de l’égalité des justiciables devant la loi pénale, peu importe que le justiciable soit une femme ou bien un homme…

Quid finalement de la notion de « contrôle coercitif » ? Cette toute dernière question, dans le cadre de notre développement, n’est en rien dénuée de sens en ce que le féminicide pourrait en effet devenir un meurtre spécial. Ici, le féminicide prendrait en compte l’intégralité du contexte qui fait que le meurtre de la femme revêt la nature de l’étape terminale du « contrôle coercitif » : pour le cas où ce contrôle résulte sur la mort de la victime, la qualification juridique de l’infraction pourrait résider dans celle du féminicide. Cette infraction pourrait se définir comme suit : donner volontairement la mort à un individu qui a subi un contrôle coercitif de la part de son auteur. Le terme de « féminicide » pourrait alors être inscrit dans notre arsenal juridique comme étant constitutif d’un meurtre spécial qui parachève la continuité des violences à l’égard de la victime, celles-ci pouvant revêtir diverses natures (violences morales, ou encore physiques, pour ne reprendre que celles-ci). Cependant, cette possibilité prête le flan à la critique, et non des moindres, en ce que le meurtre d’une femme ne serait pas nécessairement reconnu comme féminicide, et que le meurtre d’un homme pourrait en revêtir la même qualification juridique…