Les faits de l’espèce et la procédure

A l’occasion d’une compétition sportive de ski-cross, deux skieurs ont fait une chute tandis qu’ils étaient côte à côte. L’un des skieurs est ensuite devenu tétraplégique, et assigné l’autre en responsabilité en ce qu’il est le gardien des skis, instruments du dommage dont il se plaint. La Cour d’appel a débouté le demandeur de sa demande, considérant que l’accident revêtait la nature d’un cas de force majeure, jugeant ainsi que le concurrent qui était à l’origine du dommage devait être exonéré de sa responsabilité. Pour celle-ci, c’est le comportement de la victime qui a permis au gardien de la chose de s’exonérer de sa responsabilité

Mécontente de cette décision, la victime décida de se pourvoir en cassation arguant tout d’abord que les conditions de l’irrésistibilité et de l’imprévisibilité (conditions cumulatives et constitutives de la force majeure) doivent nécessairement être appréciées considérant les circonstances particulières de la cause. Il argua, sous ce rapport, qu’à l’occasion d’une telle compétition sportive : « n’est pas imprévisible le simple positionnement non rectiligne d’un concurrent. » Cet argument emporta l’approbation des juges de la deuxième chambre de la Cour de cassation qui virent censurer l’arrêt rendu par les juges du fond en se basant sur les dispositions de l’article 1242, al. 1er, du Code civil.  De la sorte, la Cour de cassation procède au rappel du texte et de la rencontre obligatoire des trois conditions de la force majeure, à savoir : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité, et celle-ci conclut que le fait qu’un skieur, à l’occasion d’une épreuve sportive, modifie sa trajectoire ne saurait revêtir la nature d’« un évènement imprévisible pour un autre concurrent ».

Une exonération de responsabilité théorique ?

Dans le cadre de ce contrôle des éléments constitutifs de la force majeure, la Cour de cassation ne procède pas différemment depuis son arrêt rendu par les chambres réunies, le 13 février 1930, Jand’heur, lorsqu’il s’agit de permettre l’exonération totale du gardien de la chose de sa responsabilité. Dans notre décision ici jugée et rapportée, la Cour de cassation ne déroge donc pas à ce contrôle et continue de ce fait son appréciation restrictive de cette notion. 


Ces constatations étant effectuées, il apparait maintenant intéressant de relever le fait que l’appréciation stricte de ces éléments constitutifs de la force majeure ne résulterait finalement, entre autres, que sur une exonération totale du gardien de la chose quasiment théorique. 

Ce qui permet au gardien de la chose de s’exonérer totalement de sa responsabilité réside dans les hypothèses de dommages qui sont en fait provoqués soit par la victime, soit par un tiers. Dit autrement, la force majeure peut résulter soit de la faute de la victime, soit de la faute d’un tiers. Or dans notre cas d’espèce, il n’en était rien. Pour la Cour de cassation, le critère tiré directement de l’imprévisibilité de l’évènement en cause empêchait la reconnaissance de l’exonération du gardien. Ce contrôle si particulier et si exigeant et rigoureux opéré par les juges de la Cour de cassation ne saurait résulter sur autre chose qu’une censure de la décision rendue par les juges du fond (par exemple une autre décision rendue en ce sens : Cass. 2e, 30/10/2023, n° 22-16.820). 

Pour véritablement apprécier le critère de l’imprévisibilité, il convient d’apprécier l’évènement en cause compte tenu des circonstances de l’espèce (des circonstances aussi bien de temps, que de lieu, que d’espèce). Dans notre cas d’espèce, ce critère n’aurait pu être retenu du fait de l’activité en question (car cette activité entraine l’acceptation des risques prévisibles pour les concurrents à une telle épreuve mais aussi l’anticipation de la survenance de ces mêmes risques, y compris celui intervenu). Par conséquent, il n’aurait pu être autrement décidé que de l’engagement de la responsabilité du gardien du fait des choses, sans qu’il ne soit possible de l’exonérer totalement ou partiellement (cf. notamment Cass. civ., 07/04/2022, n° 20-19.746).


En fin de compte, gardons en tête qu’en dépit d’une codification de la définition de la force majeure dans la matière contractuelle (cf. article 1218 du Code civil), il n’en reste pas moins que les textes sont silencieux au regard de la matière extracontractuelle. Aussi, dans le projet de réforme de la responsabilité civile, déposé devant le Sénat, en 2020, il a été proposé de modifier le sens de cette notion selon le domaine en cause. En matière délictuelle et en matière quasi-délictuelle, l’intérêt de l’imprévisibilité peut être attaqué : bien que le contrat constitue un acte de prévision, et qu’il permet de partager les risques entre les parties contractantes, il n’en est pas de même pour les domaines extracontractuels…  
Concernant les délits ou bien les quasi-délits, envisager l’irrésistibilité suffirait car l’individu qui cause un dommage à autrui de manière accidentelle n’est pas en mesure d’en prévoir la survenance, d’autant plus que se pose la question de savoir à quel instant exactement il pourrait en prévoir ainsi ?

Dans tous les cas, les juges de la Cour de cassation demeurent attentifs à ce critère de l’imprévisibilité. Ce même critère implique une appréciation générale de ce qui peut, ou non, relever d’un cas de force majeure et qui, in fine, doit rester dans le domaine des juges du fond davantage que dans le domaine partagé entre les juges du fond et le juge du droit.

Références

https://www.courdecassation.fr/decision/66ebbecfb777bc8e4ad63371

https://www.lemag-juridique.com/articles/responsabilites-la-modification-de-la-trajectoire-dun-skieur-nest-pas-un-evenement-constitutif-de-la-force-majeure-7677.htm#:~:text=Cass%2C%20civ%202%C3%A8me%20du%2019,2024%2C%20n%C2%B023%2D10.638&text=Pour%20%C3%AAtre%20constitutif%20de%20la,une%20chute%20de%20deux%20skieurs.

https://aurelienbamde.com/2016/10/26/la-garde-de-la-chose-designation-du-gardien/

https://jurislogic.fr/responsabilite-fait-des-choses-article-1242/