Alors que des personnes ont été placé en garde à vue suite à une manifestation, qu'il s'agisse des gilets jaunes, de la réforme des retraites, de la marche pour le climat et bien d'autre, le législateur et le gouvernement ont tendu à promulguer des sanctions contre les manifestants les plus violents. Allant du simple rappel à la loi à une interdiction de se rendre à Paris pendant plusieurs mois, la loi du 10 avril 2019 dite anti-casseurs élargie les sanctions définies par le Code pénal.
Les manifestations souvent nombreuses en France ont été particulièrement réprimées au cours de l'année 2019. Qu'il s'agisse des manifestants plus nombreux ou plus violents, il est dénombré de très nombreuses mises en garde à vues, voire de dispersion par les forces de l'ordre de mouvements dès leurs débuts. De plus, les procès pour violences policières se comptent également.
Alors quel est l'état du droit de manifester en France aujourd'hui ?
Cette question est aujourd'hui particulièrement importante en raison des nombreux mouvements sociaux en oeuvre et des dérives dans l'usage de la force non-proportionnée et non nécessaire parfois, qui ont pu ressortir au cours de la dernière année.
I - Un droit garanti et organisé
La liberté de manifester est un droit garanti par l'article 10 de la DDHC de 1789, intégrant le Préambule de la Constitution. Il dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble par l'ordre public. » Il est également protégé par l'article 9 de la CEDH. L'entrave à l'exercice de cette liberté est pénalement réprimée.
Ce droit s'il est important ne peut pas être simplement mis en oeuvre. Il est organisé par la loi. Les manifestations sur la voie publique doivent être déclarées à l'Administration trois jours avant qu'elle ait lieu. Elle doit être signée par le Président de l'organisation ou les trois membres responsables qui l'organisent. Elle doit notamment comporter plusieurs précisions (date, heures, itinéraire, objet, lieu, etc). C'est suite à cette déclaration que l'Administration peut refuser cette manifestation si elle estime qu'il existe un trouble à l'ordre public, ce qu'elle exprime par un arrêté. Cette interdiction peut être contestée, notamment si elle n'est pas proportionnée au risque encouru si la manifestation avait lieu. La manifestation interdite peut tout de même avoir lieu, au risque cependant de se voir infliger une amende ou une sanction plus importante (Article 431-3 et suivants du Code pénal).
Le droit de manifester est donc organisé par loi pour pouvoir s'exercer conformément à la lettre de l'article 10 de la DDHC. Or, la manifestation des Gilets Jaunes n'a pas été organisée et était sans dirigeant. Il s'agissait d'un appel public. Des manifestations n'ont à ce titre par été déclarée.
Une telle hypothèse n'était pas prévue par la loi dans les textes. De ce fait, comment l'Etat devait-il répondre à ce mouvement social ? Cette disparité entre le droit et la société qui évolue a créé ces dérives et a mis en avant une réponse de l'Etat pour un maintien de l'ordre important.
II - Un droit qui doit évoluer pour s'adapter à la société
Le droit évolue en principe avec la société qu'il régit. La disparité entre le temps de l'adaptation du droit à la réalité sociétale peut amener à des dérives sur lesquelles il faut être vigilant, soit par un texte voté trop rapidement ou par une réponse trop brutale, quel que soit son auteur.
Pour que la liberté d'expression et le maintien de l'ordre soient tous les deux respectés comme nécessaires contrepartie l'une de l'autre pour vivre en société, le droit doit évoluer de manière équilibrée.
Alors que les manifestations ne sont pas nouvelles en France, la violence par les manifestants et les forces policières non plus, comme les émeutes urbaines en 2005, Mai 1968 ou l'indépendance de l'Algérie.
Pourtant la « judiciarisation du maintien de l'ordre » s'est développée contre cet équilibre. Alors que les manifestations relèvent en principe de la police administrative. L'évolution tend vers une compétence de la police judiciaire, notamment compétente pour les infractions pénales. En ce sens, des textes comme l'article 222-14-2 du Code pénal ont été développé et durcis. Il permet les « interpellations préventives » fondées sur l'existence d'un groupement formé en vue de préparer des violences volontaires contre des personnes ou des biens.
En principe, l'article L211-9 du Code de la sécurité intérieur prévoit que le recours à la force est limité par « les principes d'absolue nécessité, de proportionnalité et de réversibilité ». Ces conditions cumulatives sont essentielles à l'usage de la force. Les cas d'espèce se démultiplient pourtant en contrariété avec ce texte, dans le cadre d'une intolérance totale face au droit de manifester (délits de faciès, interpellation préventive, etc). Au surplus, nombreuses sont les interpellations et gardes à vues qui amènent à des non-lieux, ce qui suppose qu'elles auraient en principe dû être évité. Leur nombre rend ce phénomène grave dans sa contrariété avec la liberté d'expression.
En conclusion, le droit de manifester n'est plus dans les faits pleinement garantis. Il doit évoluer de manière plus équilibré pour répondre à l'évolution sociétale et continuer à pouvoir garantir les libertés constitutionnelles. Il ne doit pas faire l'objet de lois hâtives pour répondre à des dérives, présentes par la violence exprimée tant du côté des manifestants que celui des forces policières.