L’obligation de neutralité étendue ?
La toute première question à se poser est la suivante : l’obligation de neutralité que chaque agent public doit remplir, au sens de l’article L. 121-2 du Code général de la fonction publique, saurait-elle valablement être élargie aux accompagnateurs de sorties scolaires ?
- Conseil d'État, 3 mai 2000, arrêt demoiselle Marteaux - L'obligation de neutralité de l'agent public - commentaire d'arrêt en droit administratif
- Conseil d'État, 15 juillet 2020 - La laïcité et la neutralité religieuse des personnes publiques - commentaire d'arrêt en droit administratif
De cette question découle celle de savoir si oui ou non ces parents accompagnateurs sont considérés comme des usagers du service public. Si tel est le cas, ils continuent de disposer de leur liberté de religion et de leur liberté d’expression. Ils peuvent alors manifester les convictions qui sont les leurs, sauf à imaginer qu’ils perturbent le bon fonctionnement du service ou bien l’ordre public. La loi n°2004-228 du 15 mars 2004, qui prohibe tout signe manifestant de manière ostensible une religion, ne s’applique qu’aux élèves, excluant ainsi leurs parents.
Les textes étant silencieux, en 2013, le Conseil d’Etat, saisi par le Défenseur des droits dans le cadre d’une étude, a considéré que ces accompagnateurs étant des usagers, ils ne doivent pas respecter l’obligation de neutralité. Toutefois, si un accident intervenait dans le cadre d’une sortie scolaire, une difficulté apparait quant à la protection. Sous ce rapport, des juridictions ont pu conclure que ces accompagnateurs sont en vérité des collaborateurs occasionnels du service public.
La notion de collaborateur occasionnel du service public : de quoi parle-t-on ?
Ces collaborateurs occasionnels sont des individus qui n’appartiennent en rien au service public mais qui sont dans la possibilité de le joindre, sur demande, et ce, de manière ponctuelle, limitée. Ces derniers disposent de droits, notamment si un accident survient à cette occasion. Si l’on reprend la décision du Conseil d’Etat, Commune de Saint-Priest-la-Plaine, rendue le 22 novembre 1946, en cas de dommage, ces derniers bénéficient du régime de responsabilité sans faute de l’administration qui, pour rappel, constitue un régime qui leur est favorable. Dans une décision rendue le 13 janvier 1993, Mme Galtié, le Conseil d’Etat avait reconnu cette responsabilité concernant la situation d’une accompagnatrice bénévole lors d’une sortie scolaire.
Toutefois se pose la question de savoir si en participant personnellement au service public, les accompagnateurs ne seraient-ils pas redevables d’obligations et partant de l’obligation de neutralité ? Le Tribunal administratif de Montreuil avait jugé ainsi dans une décision rendue fin novembre 2011. L’accompagnateur est soumis au principe de laïcité. Notons également la circulaire du 27 mars 2012, dite circulaire Chatel, qui s’inscrit dans le sens de la décision susmentionnée et qui est toujours d’actualité en 2025.
De plus, d’après une décision de la Cour administrative d’appel de Lyon, intervenue le 23 juillet 2019, lorsqu’une personne « [participe] à des activités assimilables à celles de personnels enseignants », celle-ci se voit imposer le devoir de neutralité.
De même, nous pouvons considérer le fait que le parent accompagnateur est soumis au pouvoir de direction de l’établissement scolaire concerné et que ce dernier participe à l’exécution d’une mission de service public, en dépit de l’absence d’une quelconque qualité d’agent du service public, et qu’ils disposent d’un pouvoir de surveillance des élèves à cette occasion.
Dans tous les cas, il faut bien garder en tête le silence des textes et surtout l’absence de réponse claire et unanime à ce sujet. L’intervention des parlementaires serait d’ailleurs sûrement fortement souhaitable.
Si le Gouvernement a précisé dernièrement que la proposition de Bruno Retailleau ne serait pas suivie d’effet, il convient de noter que l’interdiction ne saurait uniquement concerner le voile car il s’agirait d’une discrimination, impossible en droit français. Il conviendrait, entre autres, que la base juridique de cette interdiction soit déterminée et justifiée, de même que l’interdiction en cause : dans le cas contraire, l’interdiction ne passerait pas l’étape de la validation constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.
Quid, enfin, de la situation des étudiants à l’université ?
La loi du 15 mars 2004 susmentionnée prévoit une exception en ce qu’elle ne s’applique pas aux étudiants de l’enseignement supérieur, ceux-ci bénéficiant de « la liberté d’information d’expression » qu’ils sont en mesure d’exercer de manière individuelle et collective « dans des conditions [ne portant] pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public. »
Toutefois, le Conseil d’Etat est intervenu dans une décision rendue le 26 juillet 1996, Université de Lille II, afin d’apporter quelques précisions à ce sujet. Selon lui, la liberté dont disposent les étudiants ne doit aucunement leur permettre « d’accomplir des actes » de différentes natures (par exemple « de pression, de prosélytisme ») qui auraient pour effet de « [troubler] le fonctionnement normal du service public ».
Les étudiants sont alors autorisés à porter des signes religieux, mais doivent respecter cette précision émise par le Conseil d’Etat. Si une interdiction venait à avoir lieu, celle-ci, dans tous les cas de figure, ne saurait impacter uniquement le port du voile.
Cette possibilité attribuée aux étudiants se comprend à l’aune même du rôle de l’université en France, qui se distingue de celui de l’école et qui est rappelé par les dispositions de l’article L. 146-6 du Code de l’éducation. Cet article dispose entre autres que « le service de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise (…) religieuse ou idéologique » et qu’il « respecte la diversité des opinions ». Il convient de comprendre que les étudiants, contrairement aux élèves, ne sont pas vulnérables et que, partant, ils n’ont pas besoin d’être subordonné au principe de neutralité.
Références
https://www.leparisien.fr/politique/bruno-retailleau-demain-la-france-pourrait-etre-frappee-de-nouveau-06-01-2025-W23PF5TZ4ZF4ZDTI4EBBS33WI4.php
https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/01/08/interdiction-du-voile-lors-des-sorties-scolaires-le-gouvernement-ne-reprendra-pas-les-propositions-de-bruno-retailleau_6488378_823448.html
https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/01/07/pour-bruno-retailleau-les-accompagnatrices-de-sorties-scolaires-n-ont-pas-a-etre-voilees_6485619_3224.html
https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/retailleau-veut-interdire-le-voile-aux-accompagnatrices-lors-des-sorties-scolaires-ce-que-dit-la-loi_AN-202501070497.html#:~:text=Gouvernement-,Retailleau%20veut%20interdire%20le%20voile%20aux%20accompagnatrices%20lors%20des%20sorties,ce%20que%20dit%20la%20loi&text=Le%20ministre%20de%20l%27Int%C3%A9rieur%20estime%20que%20les%20accompagnatrices%20de,porter%20de%20signes%20religieux%20ostentatoires.