Quel contour pour la notion de mandat ?
La notion même de mandat est empreinte d’ambigüité. Pour preuve, les dispositions de l’article 1984 du Code civil prévoient que le mandat est constitutif d’un acte « par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ».
De cette définition juridique de la notion de mandat, nous pourrions aisément conclure que ce mandat parlementaire permettrait la mise en place d’un lien direct entre l’électeur d’une part, l’élu d’autre part. Plus précisément encore, la conclusion que nous pourrions en tenir serait que l’élu, le parlementaire, est contraint de respecter les indications de ses mandants et donc des électeurs. En ce sens, donc, le droit constitutionnel a créé une notion s’y référant : celle du mandat impératif. Celui-ci renvoie au fait que le mandat lie directement l’élu et ses électeurs. La nature de ce mandat a pu être observée et mise en œuvre dans l’histoire constitutionnelle de France. En effet, peu avant la Révolution française de 1789, les délégués aux Etats généraux se considéraient comme étant les titulaires d’un tel mandat impératif. Souvenez-vous, ces délégués avaient été envoyés par leurs ordres respectifs afin de communiquer les doléances de leurs différents mandants.
Or la même année, Louis XVI avait fortement combattu cette conception impérative du mandat, et, pour ce faire il s’était fondé sur le règlement du 24 janvier 1789. Celui-ci prévoyait, entre autres, que « les pouvoirs dont les députés seront munis devront être généraux et suffisants (…). »
Dans la même idée, et à la même période de l’histoire constitutionnelle française, la nature du mandat impératif des députés avait été réfutée par Sieyès lorsqu’il avait présenté la théorie de la souveraineté nationale. Aussi, les différentes constitutions ayant fait place à la théorie de la souveraineté populaire, théorisée par Jean-Jacques Rousseau, ont elles aussi réfuté l’idée d’un tel mandat impératif. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux dispositions claires de l’article 29 de la Constitution du 24 juin 1793 (prévoyant que « chaque député appartient à la nation entière. ») ou encore de l’article 35 de la Constitution du 4 novembre 1848 (disposant que « [les députés] ne peuvent recevoir de mandat impératif. »
L’inexistence d’un mandat impératif : mais alors quelle est la nature du mandat parlementaire aujourd’hui ?
En vérité, il est nécessaire de voir dans le mandat qui lie les élus et les électeurs un mandat dit représentatif. Preuve en est le contenu des dispositions de l’article 27 de la Constitution du 4 octobre 1958 : cet article prévoit et confirme en effet la nature du mandat représentatif en précisant que « tout mandat impératif est nul. » Il peut être intéressant de noter, concernant ces dispositions, que celles-ci ne font que continuer et affirmer les différents acquis des constitutions françaises élaborées et mises en œuvre jusqu’à présent. De la sorte, l’ensemble de la conception nationale du mandat parlementaire accepte la nature de ce mandat représentatif et réfute toute nature impérative qui y aurait trait. Finalement, cet article 27 de la Constitution de 1958 vient confirmer la vision selon laquelle le lien qui existe entre les électeurs et les élus ne serait opérant qu’au moment même du choix de ces élus, lors du vote. Lorsque les députés sont élus, ces derniers deviennent membres du Parlement et ne représentent pas ou plus leurs électeurs mais bien la nation toute entière (ce qui renvoie au caractère général du mandat).
Cela revient à dire que chaque député élu agit dans l’intérêt du pays. Comme l’expliquait William Blackstone, la fin pour laquelle les députés sont envoyés au Parlement n’est en rien particulière mais bien générale. Les députés ne sont alors pas obligés de prendre avis auprès de leurs électeurs afin de voter en faveur ou en défaveur d’une loi.
Ces considérations ont une conséquence majeure dans la pratique puisque les parlementaires français ne sont pas autorisés à représenter un groupe de défense d’intérêts particuliers (cf. en ce sens, les dispositions de l’article 23 du Règlement de l’Assemblée nationale prohibant la représentation d’un groupe de pression ou d’un groupe d’intérêt). Ces règles françaises sont en total opposition avec les règles en vigueur aux Etats-Unis par exemple, la logique de ces règles dans ce pays n’étant pas aussi représentative : les groupes de pression sont en effet très nombreux au Congrès américain.
Notons cependant que l’Assemblée nationale française a cherché à ne pas méconnaitre la réalité des choses. De fait depuis le 2 juillet 2009, il existe une réglementation des activités des représentants d’intérêts, autrement dit des lobbies. Le Bureau de l’Assemblée nationale élabora donc une liste des représentants des intérêts publics ou privés, représentants pouvant in fine accéder à certaines salles de l’hémicycle. Toutefois ces derniers doivent adhérer à un code de conduite élaboré par l’Assemblée nationale.
Il apparait finalement opportun de noter le constat selon lequel est apparue progressivement une démocratisation sur les institutions, et, celle-ci a influé sur la structure inhérente au régime parlementaire. Le régime actuel n’est plus entièrement représentatif comme tel était le cas au début du XVIIIe siècle en France. En effet, la médiatisation des diverses campagnes électorales ou encore les enquêtes d’opinion et de popularité ont conduit à ce que les parlementaires élus connaissent plus encore les volontés des électeurs et en conséquence, essayent de s’y accorder. De cette manière, la représentativité devient progressivement une semi-représentativité, d’autant que le mode de scrutin fortifie davantage ce constat. Effectivement le scrutin actuel sous la forme des circonscriptions augmente le lien entre les parlementaires et les électeurs, plus encore que le scrutin proportionnel.
Ce constat peut apparaitre tout à fait regrettable, surtout que cette modification a conduit à une perte d’application strictement fidèle des règles propres à la souveraineté nationale. En fin de compte, donc, le mandat parlementaire ne revêt pas la même nature et ce, en fonction des époques de l’histoire constitutionnelle des pays.
Références
Pauline Türk, Les Institutions de la Ve République, éd. Gualino, Paris, 2013, pp.112-113
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale
https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/folder/les-deputes/le-mandat-parlementaire/quel-est-le-sens-du-mandat-parlementaire-representer-la-nation-exprimer-la-volonte-generale-relayer-les-demandes-des-electeurs