Quels étaient les faits de l’espèce ?
Dans notre cas d’espèce, le requérant qui est de nationalité française était dans un parking, en pleine nuit, accompagné d’un autre individu. Il disposait d’un sac dans lequel se trouvait la somme de 125 000 euros (trafic de stupéfiants). Ceux-ci ont été contrôlés par 3 policiers. Le requérant a pris et démarré un véhicule alors qu’un policier se trouvait devant celui-ci, un autre sur le côté. Le requérant a accéléré sur le premier, en dépit des gestes des policiers sommant l’individu de s’arrêter. Craignant pour la vie de son collègue, le second policier a tiré à deux reprises sur le requérant qui, après avoir été touché par une balle, devint paraplégique. Le véhicule percuta le policier qui se situait en face de celui-ci et le blessa légèrement. Le requérant fut condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis suite à son refus d’obtempérer. Il décida par ailleurs de déposer plainte avec constitution de partie civile. Il considérait que le policier qui avait ouvert le feu s’était rendu coupable d’une tentative d'homicide volontaire à son égard.
Y a-t-il eu légitime défense ?
Pour rappel, la légitime défense est prévue par les dispositions de l’article 122-5 du code pénal. Il s’agit d’un fait justificatif d’irresponsabilité pénale selon lequel l’action qu’il commet, dans d’autres circonstances, serait considéré comme une infraction. si toutes les conditions cumulatives sont effectivement rencontrées, la responsabilité pénale de cet individu est alors reconnue. À l’égard de la situation particulière d’une atteinte à un individu, comme c’est le cas dans notre affaire, cette atteinte doit être non seulement actuelle, réelle, mais également justifiée. Pour sa part, la riposte doit revêtir certaines caractéristiques : en effet, celle-ci doit être proportionnée à la gravité de l’attaque, nécessaire, mais aussi et surtout immédiate. Ici, il nous faut bien garder à l’esprit que les juges de la Cour européenne sont particulièrement attentifs dans le cadre de l’examen de ces différentes caractéristiques susmentionnées puisque les policiers sont spécifiquement formés pour savoir s’il est réellement nécessaire d’utiliser ou pas la force.
Dans notre cas d’espèce, les juges du fond ont considéré que les conditions précitées sont effectivement rencontrées. Cette position judiciaire fut par ailleurs acceptée par la Cour de cassation qui considérait que le policier « a agi dans l’absolue nécessité de protéger son collègue et n’a pas disposé du temps utile [des tirs] de sommation » (cf. Cass. crim., 16/02/2021, n20-86.552). Considérant ces différentes constatations, le procureur décida de ne pas engager de poursuites. Mécontent, le requérant a décidé de se constituer partie civile mais le juge d’instruction décida finalement de rendre une ordonnance de non-lieu au profit du policier concerné. Ce non-lieu fût par ailleurs confirmé par l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Suite à cette décision, le requérant, décida de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
Qu’en est-il du droit à la vie ?
Le droit à la vie est protégé par les dispositions de l’article deux de la Convention européenne des droits de l’homme. Il nous faut noter ici que ces dispositions s’appliquent aussi bien en cas de décès, qu’en cas d’utilisation de la force lorsque celle-ci est potentiellement meurtrière. Dans notre espèce commentée, ceci est bien le cas. Des dispositions de cet article, deux résultent des obligations aussi bien procédurales que matérielles. Il revient ainsi aux autorités internes compétentes de diligenter, une enquête au regard de ses atteintes supposées au droit à la vie. De plus, ces mêmes autorités doivent respecter l’obligation selon laquelle ils ne doivent pas porter atteinte au droit à la vie. Il existe toutefois une exception à cette obligation : lorsque le recours à cette force a été considéré comme « absolument nécessaire » (cf. en ce sens, point 83 de la décision, et article 2, paragraphe 2, dudit article). C’est bien après avoir précisé ses obligations que la cour européenne a examiné le cas d’espèce.
Quid de l’enquête effective ? Dans sa décision la Cour a retenu que le procureur de la république a procédé à l’ouverture d’une enquête qui a permis de conclure à la proportionnalité de la riposte (cf. précisément les points 87 et 88 de cet arrêt). Par ailleurs, il ressort de cette décision que les juges étaient intimement convaincus que les tirs qui ont été portés à l’encontre du requérant par le policier s’inscrivaient dans le cadre spécifique de la légitime défense. Et les juges de la cour de considérer que l’enquête en question fut impartiale.
Quid, finalement, du recours à la force et de sa nécessité ? En l’espèce, les juges de la cour européenne des droits de l’homme rappellent que les règles juridiques qui encadrent ce fait justificatif sont bien conformes à la convention. Ici, l’arme utilisée par le second policier le fut dans le but de défendre le premier policier et ce, devant « une violence illégale » au sens des dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention. Les juges relèvent également que les faits en cause ont eu lieu à l’occasion d’une opération qui n’a pas été planifiée en effet par les policiers. Ce constat, pour les juges, résulte nécessairement sur le fait que les policiers n’ont pas pu réagir autrement, ne disposant pas d’une préparation préalable. Ils relèvent également un point important : les policiers concerné ne faisaient pas partie d’une brigade anticriminalité, mais faisait partie d’une brigade canine (cf. point 107 de la décision). Qu’en est-il du tir de sommation ? Les juges retiennent que le policier ne bénéficiait pas d’un temps suffisant pour effectuer ce tir : de surcroîts, les juges de la Cour européenne ont considéré qu’il ne leur était pas possible de spéculer sur l’opportunité d’emploi d’un autre moyen de défense par les policiers (cf. pour un développement plus important sur ce sujet, paragraphe 100 de la décision).
Pour conclure, la Cour a ainsi considéré que l’article 2 n’a pas été violé dans la mesure où l’usage de la force l’étale n’a pas outrepassé, ce qui était strictement, absolument nécessaire.
Références
https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-238834%22]}
https://www.meyer-nouzha-avocats.com/larticle-2-de-la-convention-droit-a-la-vie-est-invocable-quand-des-policiers-ouvrent-le-feu-meme-sil-nen-resulte-aucun-deces/
https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=53385