Le déplacement et la transformation des emplois
L’intelligence artificielle impacte tout d’abord les emplois en ce qu’elle inclue un déplacement et une transformation de ceux-ci. Un avis du Conseil économique, social et environnemental de 2018 considérait qu’entre 9 à 54% des emplois actuels étaient menacés. Ces chiffres sont cependant à considérer compte tenu d’autres évolutions qui, elles aussi, ont un impact sur le marché du travail, à l’image non exhaustive des politiques en la matière. Notons à cet égard que les effets futurs de l’intelligence artificielle demeurent incertains pour l’avenir concernant, spécialement, l’emploi.
Il est néanmoins intéressant de noter que si certains emplois sont menacés voire remplacés par l’intelligence artificielle à l’image des traducteurs, il n’en demeure pas moins que d’autres sont en parallèle créés, à l’image de l’ingénierie. La question a se poser réellement est celle de savoir si l’intelligence artificielle est davantage créatrice d’emploi que destructrice ? Immédiatement, il convient de retenir que la réponse n’est pas simple à apporter. Deux effets sont contrebalancés ici : d’abord l’effet d’éviction qui résulte sur des tâches du travail de l’homme transférés vers la technologie, la technique ; ensuite l’effet de productivité qui implique une augmentation de la production mais la création de nouveaux emplois.
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Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur les conditions de travail ?
Pour débuter, il faut noter que les systèmes d’intelligence artificielle constituent un ensemble de dispositifs plus ou moins abscons, plus ou moins inapparents et qui impactent sérieusement les conditions de travail. S’il est incontestable que l’intelligence artificielle dispose d’avantages, il n’en reste pas moins qu’elle pose des questions à l’égard des conditions de travail d’autant plus qu’elle est utilisée, par exemple, afin de réduire les erreurs humaines ou encore d’augmenter la performance.
Ces mêmes systèmes sont utilisés dès l’enclenchement du processus de recrutement, aussi bien au niveau de la rédaction des offres d’emploi que du filtrage des CV transmis par les candidats. Ici, l’utilisation de l’intelligence artificielle n’est pas non plus sans poser certaines questions, tenant notamment à des risques de discrimination envers telle ou telle candidature. Dans le même sens, l’intelligence artificielle pose des questions au titre de la relation de travail entre le salarié et son employeur en ce que, par exemple, dans la surveillance des salariés ou de la prise de décision. Si elle peut être source de progrès pour ces derniers, il n’en reste pas moins qu’elle peut également être la cause de menaces en ce qu’elle impacte inévitablement une perte d’autonomie voire encore une déqualification de certains emplois, ou bien encore elle résulte sur une amplification du travail. L’existence de tels risques étant posée, se pose maintenant la question de savoir si le droit du travail français permet d’y faire face ?
Que prévoit le droit français ?
Le droit du travail français, tel qu’il existe aujourd’hui, n’est en aucun cas silencieux face à l’usage de l’intelligence artificielle et donc face aux risques qu’elle peut représenter dans le monde du travail. En effet, il existe un cadre juridique comprenant des règles générales pouvant s’y appliquer tout à fait : c’est ainsi le cas des dispositions inhérentes à la santé ou à la sécurité des salariés pour ne citer que celles-ci. Quid des suppressions d’emplois ? Le code du travail actuel n’interdit pas aux employeurs de réduire leurs effectifs et de les remplacer par des dispositifs d’intelligence artificielle. Ce qu’il prévoit, néanmoins, ce sont des règles qui interviennent à l’effet d’en restreindre les répercussions négatives. De fait, les salariés devront bénéficier d’un plan d’adaptation afin qu’ils soient ensuite formés ou éventuellement reclassés. Le tribunal judiciaire de Pontoise a même eu l’occasion de préciser, dans une décision rendue le 15 avril 2022, que le simple fait de projeter l’utilisation de nouvelles technologies au sein de l’entreprise implique non seulement la consultation du comité social et économique mais également la consultation d’un expert qui devra être habilité, le tout sans qu’il ne soit indispensable d’apporter la preuve que cette introduction projetée aura une portée quelconque sur les conditions de travail des salariés concernés (cf. n° RG22/00134).
De plus, selon certaines organisations syndicales, à l’image de FO Cadres, l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle doit nécessairement inviter les parlementaires à mettre à jour régulièrement le code du travail, et plus généralement le droit du travail, afin que l’ensemble des sujets et problématiques découlant de cette utilisation soient pris en compte et que in fine, un cadre juridique précis, des limites soient posés.
Qu’en est-il de l’AI Act ?
Mi-mars 2024, les eurodéputés ont adopté le règlement AI Act qui, à termes et après publication officielle, constituera un encadrement harmonisé dans les Etats membres de l’Union européen mais surtout un encadrement strict de l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle au sein des entreprises. Il prévoit, entre autres, quatre niveaux de risques relativement à l’utilisation de ces systèmes, du niveau minimal de risque au niveau inacceptable de risque. Différentes obligations devront par conséquent être respectées et remplies par les fournisseurs et utilisations de systèmes d’intelligence artificielle.
Ce qui est finalement intéressant à relever dans notre développement réside dans le fait que certaines solutions devront être recherchées et implémentées par les différents protagonistes utilisant ces systèmes d’intelligence artificielle afin, notamment, que soit créée une certaine balance entre d’une part les droits sociaux et leur respect, d’autre part la nécessaire innovation pour les acteurs économiques. Concernant la situation si particulière des salariés, et qui est le résultat de l’usage accru de ces systèmes, celle-ci devrait connaitre une certaine amélioration par des formations qui leur permettront non seulement de s’approprier les outils et systèmes d’intelligence artificielle, et de s’y adapter.