Que prévoit cette réforme tant décriée ?
Avant de nous intéresser aux questions de la motion de censure et de la dissolution de l'Assemblée nationale, revenons en quelques mots sur les points les plus importants et les plus épineux de cette réforme. Il s'agit vraisemblablement de l'une des réformes ardemment souhaitée par le Chef de l'État et qui est aussi l'une des plus controversées.
En effet, il s'agit principalement de reporter de manière progressive l'âge de départ à la retraite et atteindre le chiffre clé des 65 ans d'ici 2031. Matignon a fait savoir que le choix de l'exécutif s'est porté sur le "dialogue et la concertation" tout en maintenant le délai prescrit par le Chef de l'État qui souhaite voir cette réforme votée d'ici la fin de l'hiver pour une application dès l'été prochain.
Revenons sur le sens et la portée des propos tenus par le ministre du Travail. Cette déclaration n'a rien d'anodin ni d'anecdotique puisqu'elle vise un objectif, à savoir : s'assurer le soutien des républicains dans le vote de cette réforme. Si une dissolution intervenait, nul doute que ce parti perdrait un certain nombre de sièges, sûrement au profit du groupe présidé par Marine Le Pen. Cette dernière a par ailleurs tweeté qu'elle se tenait prête si un tel évènement devait advenir.
Une réforme ardemment désirée, mais synonyme de difficultés pour la majorité
Rappelons tout d'abord qu'Emmanuel Macron ne dispose pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Proposer un projet de loi dédié au vote des députés peut donc s'avérer audacieux. Le Chef de l'État pourrait alors décider que soit actionné le recours à l'article 49, al. 3, de la Constitution qui permet in fine qu'un texte soit considéré comme étant définitivement adopté sans procéder à un vote, sauf à imaginer qu'une motion de censure soit déposée et aboutisse et auquel cas le Gouvernement serait renversé.
Si les dispositions de l'article 49, al. 2, de la Constitution étaient mises en mouvement par une majorité de députés, et que cette procédure aboutissait effectivement, le Gouvernement serait contraint à la démission. Cette arme au seul bénéfice des députés français constitue un des mécanismes de mise en cause de la responsabilité de l'équipe gouvernementale. En ce sens, elle est également dénommée la motion de censure spontanée. Toutefois afin d'éviter tout blocage et pour contrer toute possibilité d'instabilité gouvernementale, la Constitution prévoit une procédure très stricte qui permet d'en limiter l'usage (même s'il s'agit indéniablement d'une arme dissuasive pour contraindre le Gouvernement à réviser sa copie). D'abord, un dixième des députés au moins doivent la déposer et la motiver ; une fois déposée, celle-ci ne pourra finalement être votée qu'à l'expiration d'un délai de 48h. Pour qu'elle soit définitivement adoptée, notons enfin que la majorité absolue des membres qui composent cette chambre doivent la voter. L'application de cette technique n'est pas utopique compte tenu de la composition actuelle de l'Assemblée nationale.
Cet outil d'origine constitutionnelle peut répondre à l'engagement par le Gouvernement de sa responsabilité sur un texte, compte tenu des dispositions de l'article 49, al. 3, de la Constitution. Ce mécanisme ne peut être enclenché qu'à l'initiative du Premier ministre et uniquement devant l'Assemblée nationale. Il permet de ne pas soumettre au vote des députés un texte de loi qui sera alors considéré comme définitivement adopté, sauf si ces derniers actionnent le mécanisme de l'article 49, al. 2, susmentionné. La motion de censure déposée par les députés devra ici être déposée dans un délai fixé à 24h. L'enclenchement de l'article 49, al. 3, constitue pour le Gouvernement ce que l'on appelle en droit constitutionnel la motion de censure provoquée.
Il s'agit plus ou moins d'un pari fortement risqué pour l'exécutif. En effet si celui-ci dispose d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, nul doute sur le fait qu'aucune motion de censure ne sera déposée, l'exécutif bénéficiant du soutien sans faille des députés majoritaires. Cependant, la situation est toute autre en cas de majorité relative comme c'est le cas actuellement à l'Assemblée nationale. Le fait est qu'une majorité de députés de l'opposition pourront aisément, s'ils remplissent les conditions de l'article 49, al.2, renverser le Gouvernement. Par l'utilisation de l'article 49, al. 3, le Gouvernement s'en remet pour son maintien en poste au sort qui sera réservé au texte de loi concerné.
Le risque est en vérité partagé. Pour le cas où la censure est votée, les députés seront éventuellement contraints de répondre de leur défiance : le Président de la République peut en effet décider d'user des dispositions de l'article 12 de la Constitution qui lui permettent de dissoudre l'Assemblée nationale et ainsi de renvoyer les députés devant les électeurs français. Or en cas de dissolution, rien ne leur garantit expressément de retrouver leur siège, si ce n'est un éventuel ancrage local très fort.
La mise en oeuvre de la dissolution ne nécessite pas de contreseing, mais ses conditions sont strictes afin de contrer toute utilisation abusive de ce pouvoir. Ce qui est surtout intéressant à noter dans cette hypothèse évoquée par le ministre du Travail réside dans une partie du discours de Michel Debré, délivré devant le Conseil d’État, le 27 août 1958 : l'utilisation de la dissolution constitue entre le Chef de l'État et les citoyens français "un bref dialogue [pouvant] régler un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une heure décisive." Emmanuel Macron pourrait décider d'y recourir pour solliciter l'arbitrage du suffrage universel et finalement savoir quelle majorité les électeurs souhaitent. In fine, il s'agirait également de savoir s'ils sont ou non favorables à une telle réforme des retraites…
Nul doute que cette réforme continuera à faire couler beaucoup d'encre et que le Gouvernement, mais aussi les députés devront bien réfléchir à leurs marges de manoeuvre.
Sources : Le Monde, Dalloz, Assemblée nationale