Les faits et la procédure de l'espèce

Dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, un salarié fut embauché par une société spécialisée dans le dépannage autoroutier. Ce dernier effectue une permanence sur un tronçon délimité d'une autoroute et demande à la juridiction prudhommale une résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que le paiement de plusieurs sommes, dont certaines correspondent au paiement d'heures supplémentaires ; il sera finalement licencié par la société.

Dans sa décision rendue le 27 janvier 2021, la Cour d'appel d'Amiens (cf. décision n° 17/04294) relève tout d'abord qu'en application de la convention collective applicable au cas d'espèce, les dépanneurs sont contraints d'être en permanence dans les locaux de l'entreprise, voire à proximité immédiate de ceux-ci et ce, même hors des jours ou des heures d'ouverture de l'entreprise, de manière à pouvoir répondre le plus rapidement possible à toute demande d'intervention de dépannage. La Cour d'appel retient ensuite qu'il est mis en place des équipes de dépanneurs, par ailleurs tous dotés d'un téléphone, et qui doivent intervenir sur des dépannages lorsque le dispatcheur leur demande. Il est indiqué, dans cet arrêt, que ce dernier est, à l'inverse de ses collègues, spécifiquement affecté à la réception de ces appels d'urgence. Les juges d'appel concluent que les périodes concernées constituent non pas des permanences, c'est-à-dire du temps de travail effectif, mais bien des astreintes.

Mécontent de la décision ainsi rendue, le salarié évincé et débouté de ses demandes décide de se pourvoir en cassation.

La solution rendue par la Cour de cassation

Dans le cas d'espèce, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de censurer le raisonnement tenu par les juges d'appel. Pour ce faire, elle va notamment fonder sa décision en visant les dispositions contenues au sein de l'article L.3121-1 du Code du travail de même que celles contenues au sein de l'article L.3121-5 dudit code, dans sa rédaction antérieure à 2016, le premier article définissant la durée du travail effectif, le second caractérisant la notion d'astreinte.

Ainsi et au sens de l'article L.3121-1 du Code du travail, la durée du travail effectif correspond explicitement à la période pendant laquelle tout salarié « est à la disposition de l'employeur » et doit donc se conformer aux directives qu'il en reçoit sans avoir la possibilité de « vaquer librement à des occupations personnelles ». Maintenant et au sens de l'article L.3121-5 du même code, mais dans sa rédaction antérieure à 2016, revêt la nature d'une astreinte la période pendant laquelle tout salarié doit « demeurer à son domicile ou à proximité [de celui-ci] » de manière à être en mesure d'« accomplir un travail au service de l'entreprise » sans cependant « être à la disposition permanente et immédiate » de son employeur. Le second alinéa de cet article précise qu'il s'agit, dans ce cas, d'un « temps de travail effectif. »

En l'espèce, la Chambre sociale distingue également les périodes d'astreinte des périodes de permanence en se fondant plus spécifiquement sur la définition donnée par la Cour de justice de l'Union européenne relativement à la notion de temps de travail effectif.

En effet dans une décision rendue par les juges de la Cour de justice de l'Union européenne, le 9 mars 2021 (cf. décision n° C-344/19, §37), et se référant aux dispositions contenues au sein de la directive 2003/88, ces derniers avaient considéré que toutes les périodes de garde, même les périodes pourtant comprises sous le régime d'astreinte, relèvent de la notion de « temps de travail effectif », dès lors qu'au cours de ces périodes les contraintes qui sont effectivement imposées au salarié sont « d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement » sa propre faculté à pouvoir gérer librement son temps personnel, temps pendant lequel son employeur n'a pas besoin de ses services.

Pour la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cas inverse, et donc dès lors que lesdites contraintes n'atteignent pas ce degré si particulier d'intensité et qu'elles lui permettent effectivement de gérer son temps personnel, alors « seul le temps lié à la prestation de travail », effectué à l'occasion « d'une telle période constitue du temps de travail » pour le cas où cette éventualité viendrait à se présenter (cf. également CJUE, 10/09/2015, Federacion de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras, C-266/14, §37).

Par voie de conséquence dès lors que les contraintes qui pèsent sur tout salarié à l'occasion d'une période d'astreinte ont atteint un certain degré d'intensité, alors ces périodes résultent sur la reconnaissance d'un temps de travail effectif, devant nécessairement donner lieu à une rémunération.

Dans notre cas d'espèce, le salarié concerné arguait précisément qu'il était contraint par un délai d'intervention bref de façon à se rendre sur le lieu de dépannage après avoir reçu la demande d'intervention. Pour les juges de la Chambre sociale, il aurait été nécessaire pour les juges d'appel de rechercher si le salarié avait effectivement été soumis à un tel degré d'intensité relativement aux contraintes qui pesaient sur lui à l'occasion desdites périodes d'astreinte. N'ayant pas procédé de la sorte, ces derniers ont par conséquent privé de base légale leur décision ; d'où il s'en suit que l'arrêt d'appel est cassé et annulé par la Cour de cassation.

 

Sources : Cour de cassation, Cour de justice de l'Union européenne, Lexbase, JLBK avocat