Le schéma national du maintien de l'ordre
Il s'agit d'un document qui est publié par le ministère de l'Intérieur et qui aménage les différentes conditions opérationnelles inhérentes au maintien de l'ordre pour toutes les forces intérieures de sécurité (à savoir : la police nationale et la gendarmerie nationale) et concernant l'ensemble des manifestations qui ont lieu sur le territoire français.
Ce document, signé le 17 septembre 2020, a fait l'objet de plusieurs contestations notamment chez les représentants des journalistes ou encore les associations de défense des droits de l'homme.
La saisine du Conseil d'État
Après la publication du schéma national du maintien de l'ordre en septembre dernier, par le ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, plusieurs associations et autres syndicats ont décidé de saisir le Conseil d'État afin que ce dernier se penche sur sa légalité, voire en annule certaines sections (la CGT, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat national des journalistes, entre autres).
À l'occasion de cette saisine, le Conseil d'État a jugé nécessaire d'annuler plusieurs de ses dispositions. Ainsi, par une absence de conditions qualifiées de « suffisamment précises », le fait de recourir à l'encerclement des manifestants, opération appelée « la nasse », est annulée. Il en est de même concernant des règles qui auraient trouvé à s'appliquer aux journalistes.
Les sections annulées par le Conseil d'État
Quatre parties du schéma national du maintien de l'ordre ont été annulées par le Conseil d'État. En quoi consistaient-elles et pourquoi une telle décision ?
1/ L'encerclement des manifestants
Le Conseil d'État a tout d'abord décidé d'annuler la possibilité d'encerclement des manifestants. Les juges de la Haute juridiction de l'ordre administratif ont en effet décidé qu'« en absence de conditions précises » cette mesure devait être annulée. En vérité, cette pratique de l'encerclement des manifestants, prévue par le schéma du maintien de l'ordre, permet tout à la fois de contrôler, ou d'interpeler ou de prévenir tout trouble à l'ordre public à l'occasion d'une manifestation.
Si le Conseil d'État ne remet pas en cause l'idée d'un tel procédé, qui peut être utile à l'occasion de certaines manifestations et des écarts pouvant être observés, il n'en reste pas moins que ce procédé peut bouleverser de manière manifeste et la liberté de manifester et la liberté d'aller et venir. Ici, les juges du Conseil d'État ont critiqué le fait que les dispositions concernées ne précisaient pas les hypothèses pour lesquelles ce procédé pourrait être utilisé. Et les juges d'annuler cette pratique dans la mesure où sa mise en œuvre effective ne garantirait ni une adaptabilité, ni une nécessité, ni une proportionnalité aux circonstances.
2/ Journalistes et attroupement de personnes dispersé
Le Conseil d'État a décidé d'annuler la section relative aux journalistes présents sur les lieux alors qu'un attroupement de personnes est dispersé par les forces de l'ordre. Cette section prévoyait en fait que les journalistes étaient contraints de se soumettre aux ordres de dispersion par les forces de l'ordre et en se plaçant hors du corps des manifestants qui seraient amenés à se disperser. Pour rappel sur le plan pénal, le fait de maintenir sa présence au sein d'un attroupement alors même qu'un ordre de dispersion a été communiqué est constitutif d'un délit ; toutefois, ici, les journalistes doivent être en mesure d'exercer leur mission d'information en dépit d'une telle dispersion de manifestants. Les journalistes ne peuvent donc pas être contraints à quitter les lieux dès l'instant où ces derniers se placent dans une position qui les empêche d'être confondus avec les manifestants (devant respecter la sommation de dispersion).
3/ La question du port de protection au bénéfice des journalistes
Le Conseil d'État a poursuivi sa décision en annulant la partie relative aux conditions permettant aux journalistes de porter des équipements de protection. Les juges ont décidé que le ministre de l'Intérieur n'est pas en mesure d'imposer les conditions qui permettraient aux journalistes de porter des protections lors de manifestations.
Dans le schéma national du maintien de l'ordre, il était indiqué que les journalistes pouvaient porter des équipements de protection pour le cas où leur « identification est confirmée » et que le comportement des journalistes est « exempt de toute infraction ou provocation ». Or les juges ont relevé que les termes employés dans une simple circulaire sont équivoques et vagues, et outrepassent les dispositions contenues au sein du Code pénal, d'où l'annulation de cette règle.
4/ La question de l'accréditation des journalistes
Dernier point et non des moindres à être annulé : la question de l'D et l'accès au canal d'échange pouvant être instauré par les forces de l'ordre compétentes à l'occasion des manifestations. Les juges du Conseil d'État ont annulé l'obligation d'accréditation des journalistes afin d'accéder à ce canal.
En fait, les juges ont ici observé que ce canal permet à certains journalistes de recevoir immédiatement des informations sur le déroulement d'une manifestation (cela ne remet pas en cause les principes inhérents à la liberté d'expression, de communication ni aux principes d'égalité entre les journalistes). Les juges ont aussi retenu qu'il était possible de limiter l'accès à ce canal d'échange à certains journalistes, eux-mêmes titulaires d'une carte de presse, en ce qu'il existe des impératifs opérationnels pour les forces de l'ordre à l'occasion des manifestations.
Néanmoins, le Conseil d'État a retenu, pour annuler cette section, que cette accréditation devait être effectuée « auprès des autorités », sans que sa portée, ni les conditions, ni encore les modalités d'obtention soient précisées. Cette rédaction est alors vague et peut conduire à des choix discrétionnaires, pour tel ou tel journaliste, et porte finalement atteinte de manière disproportionnée à la liberté de la presse.
Sources : Conseil d'État, Le Monde