Propos introductifs sur la désactivation et la neutralisation du droit
L'épidémie de COVID-19 : un état d'urgence
Depuis l'annonce du confinement, intervenu à la fin du premier trimestre 2020, de nombreuses règles sont intervenues à l'effet de répondre à la crise sanitaire liée au COVID-19 en France. La pandémie actuelle constitue, comme ce fut par ailleurs le cas en 2015 à la suite des attentats parisiens, un état d'urgence ; cet état d'urgence est néanmoins singulier.
Qu'il s'agisse de la réponse apportée aux attentats de novembre 2015 ou qu'il s'agisse des nombreuses réponses apportées actuellement à l'épidémie liée au COVID-19, ces réponses trouvent leur source dans un droit d'exception : ces évènements, bien que de nature différente, constituent bien un état d'urgence.
Si l'état d'urgence a tout d'abord été régi par la loi du 3 avril 1955, et notamment son article premier qui prévoit les cas pour lesquels celui-ci peut être déclaré, et si cet état d'urgence est de nature administrative, l'état d'urgence sanitaire actuel diffère dans sa nature. En effet, depuis la loi n 2020-290 du 23 mars 2020, un nouvel article fut inséré au sein du Code de la santé publique, à savoir : l'article L.3131-12. Cet article prévoit dorénavant que l'état d'urgence sanitaire est déclaré "en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population". C'est également par le fait de sa déclaration que l'état d'urgence sanitaire permet l'instauration d'un droit d'exception ; cela implique que de nouvelles dérogations, de nouvelles mesures puissent être instaurées à l'effet de contrer l'application du droit commun.
Preuve en est, il suffit de se reporter aux centaines de textes adoptés alors que la crise sanitaire touchait durement le territoire français et sa population. On le voit donc, il y a eu l'instauration de nombreuses mesures dérogatoires afin de contrer les conséquences catastrophiques découlant de l'épidémie du nouveau coronavirus. Ces textes, pour n'en retenir que quelques-uns, ont intéressé le confinement au domicile ou encore le contrôle du prix de certaines denrées (cf. article L.3131-15 du Code de la santé publique). Ces différentes règles dérogatoires de droit commun ont eu, malgré leur objectif premier de contrer la propagation du virus et d'assurer la santé de la population, pour conséquence de bafouer les droits et les libertés fondamentales des individus.
Or il est intéressant, à ce sujet, de relever que l'intérêt général prime sur les différentes catégories de droit qui existent, notamment les droits-créances et les droits-libertés. Les droits-créances, définis par Jacques Robert et Jean Duffar, sont constitutifs d'un pouvoir d'exiger une certaine prestation, qualifiée de positive (il s'agit, par exemple, du droit à la santé) ; ces droits-créances sont bien, pour ces deux auteurs, exigibles de l'État. Pour leur part, les droits-libertés sont opposables à l'État (il s'agit, par exemple, du droit d'aller et venir).
En réalité, la crise sanitaire revêt un caractère particulier dans la mesure où celles-ci constituent des circonstances particulières qui nécessitent que le droit commun soit adapté ; il doit, plus précisément, être adapté à ces mêmes circonstances afin de pouvoir utilement y faire face. On le comprend, l'intérêt général doit primer sur l'intérêt privé, individuel. Les rapports sociaux entre les différents membres de la société sont donc impactés par ces nouvelles règles, ces nouvelles mesures ; or dans la mesure où elles sont exigées par l'intérêt général, les rapports sociaux sont régulés différemment dans l'objectif de répondre à l'intérêt général avant tout.
Toutefois, il est ici impératif de retenir une règle importante. En effet, comme dans le cadre de l'état d'urgence, les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire doivent revêtir des caractéristiques intrinsèques : elles doivent être proportionnées par rapport au risque sanitaire existant et surtout ces mesures dérogatoires de droit commun doivent être appropriées à l'ensemble des circonstances tenant à la fois au temps et au lieu. En d'autres termes, cela signifie que ces mesures dérogatoires doivent être instaurées et appliquées dans le but de répondre à la crise sanitaire ; leur application doit, en outre, être arrêtée dès lors que celle-ci n'est plus indispensable (cf. article L.3131-15 susmentionné). Cela revient à considérer que l'état d'urgence sanitaire n'a pas vocation à durer dans le temps ; dès lors qu'il n'est plus nécessaire de recourir à des mesures d'exception, des mesures dérogatoires de droit commun, il doit être mis fin à l'état d'urgence sanitaire.
Si donc, le droit ou l'ensemble des droits sont désactivés et neutralisés par un dispositif normatif particulier, mis en oeuvre pour faire face à une crise sanitaire, dès qu'il n'y a plus lieu d'y recourir, le droit ou l'ensemble des droits doivent être à nouveau activés et leur neutralisation nécessairement temporaire achevée ; il doit par conséquent y avoir un nécessaire retour à l'application du droit commun, comme dans l'état d'urgence "classique".
Sources : - Article L3131-12 du Code de la santé publique - Article L3131-15 du Code de la santé publique - Robert et Duffar, Droits de l'homme et libertés fondamentales, éd. Montchrestien, 1994 - Vie publique. Qu'est-ce que l'état d'urgence sanitaire ? [en ligne], publié le 10 juillet 2020 https://www.vie-publique.fr/fiches/273947-quest-ce-que-letat-durgence-sanitaire - Direction de l'information légale et administrative (Premier ministre). L'état d'urgence sanitaire en pratique [en ligne], publié le 12 mai 2020 https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14013