Quels sont les faits de l’espèce ?

Dans notre cas d’espèce, il s’agit de la loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France : pour rappel, celle-ci fut adoptée de manière définitive le 5 juin 2024. Quelques jours plus tard, le groupe La France Insoumise – NUPES critiquaient notamment le contenu de son article 6. 

Par une décision rendue le 10 juillet, les Sages décidèrent de considérer la saisine comme étant irrecevable, considérant le groupe de députés n’avaient plus cette qualité puisque la veille de cette saisine le Chef de l’Etat avait décidé la dissolution de l’Assemblée nationale (cf. décision n°2024-870 DC).

Qu’à cela ne tienne, le 12 juillet, un nouveau groupe de députés de La France Insoumise, nouvellement constitué, ont décidé de déposer un nouveau recours allant dans le même sens. Cette saisine fut de nouveau considérée comme irrecevable.


Le rappel de quelques règles eu égard à l’article 61 de la Constitution

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel rappelle quelques règles eu égard aux dispositions de l’article 61 de la Constitution. Ainsi, même s’il revient au Chef de l’Etat de promulguer les lois dans un délai prédéterminé de 15 jours, il n’en demeure pas moins que dès l’instant où le Conseil constitutionnel est saisi d’une loi avant que celle-ci ne soit promulguée, le délai susmentionné est suspendu. Cela permet en effet aux Sages d’examiner le contenu du texte par rapport à la Constitution. Au sens des dispositions contenues au sein de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, lorsque le Conseil constitutionnel juge qu’une disposition ne contrevient pas au texte constitutionnel suprême, il est mis un terme à la suspension du délai de promulgation. 

Le cas particulier de cette espèce, à savoir : le fait d’être saisi sur un même texte alors qu’il en avait déjà examiné le contenu par la publication d’une première décision, ne revêt pas de caractère inédit. 

En effet, par deux décisions (cf. Cons. const., 04/07/2001, n° 2001-449 DC, §1 à 3 ; et Cons. const., 27/06/2001, n° 2001-446 DC concernant la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception), le Conseil constitutionnel s’est prononcé à deux reprises sur le même texte mais non sur les mêmes dispositions qu’il contient. Le Conseil constitutionnel en profita néanmoins pour préciser que le pouvoir constituant de 1958, en édictant les règles en matière de suspension du délai de promulgation susmentionnée, « a entendu exclure toute nouvelle suspension du délai de promulgation, laquelle résulterait nécessairement de l’examen d’une saisine postérieure » à la première décision déjà rendue. En conséquence, il apparait impossible de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel d’un recours contre le même texte. 

Dans notre cas d’espèce, de ce fait, sans grande surprise et après avoir observé que la saisine desdits députés intéressait la même loi que laquelle il avait déjà eu l’occasion de se prononcer précédemment, le Conseil constitutionnel décida de la rejeter sur la base des dispositions de l’article 61. 


Quid de la perte de qualité de députés ? 

En l’espèce, il s’agit d’une situation quelque peu particulière en ce que la décision du Conseil constitutionnel intervient après que celui-ci ait été saisi une première fois de la même loi mais qui a fait l’objet d’une décision d’irrecevabilité, précisément parce que les députés avaient perdu cette qualité du fait de la décision du Chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée nationale (la dissolution étant intervenue la veille du dépôt de leur recours contre la loi).

Les députés considéraient que la décision précédemment rendue ne pouvait leur être opposée en ce que le Conseil constitutionnel n’avait pas procédé à l’examen de la loi sur le fond de celle-ci. C’est sans compter sur les juges qui décidèrent de rejeter cette argumentation. Ils rappellent qu’en prévoyant les délais susmentionnés, le pouvoir constituant a souhaité « exclure toute nouvelle suspension du délai de promulgation, laquelle résulterait nécessairement de l’examen d’une saisine postérieure à [leur] décision » (cf. §3 de la décision). Au sein de ce même paragraphe 3, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il n’est pas possible qu’il soit de nouveau saisi sur le fondement de l’article 61 du texte constitutionnel suprême « d’un nouveau recours contre le même texte ». Il convient immédiatement de souligner le fait que le Conseil constitutionnel a précisé que cette impossibilité de saisine dans le cadre d’un recours a priori et donc d’un recours formé contre une loi avant sa promulgation n’empêche en rien tout justiciable « de le saisir d’une question prioritaire de constitutionnalité » conformément aux dispositions contenues au sein de l’article 61-1 du même texte. 

Ces constatations étant effectuées, le Conseil constitutionnel n’a finalement eu d’autre choix que de considérer que la loi en question ne pouvait valablement être examinée, ce dernier ayant rendu une première décision en date du 10 juillet 2024 (cf. §4 et 5 de sa décision). Le rejet de cette nouvelle saisine ne pouvait donc pas constituer une quelconque surprise malgré les griefs formés par La France Insoumise. 

Il est intéressant de relever, pour clore notre développement, que cette situation apparait davantage théorique que pratique au regard du contrôle des lois a priori. Effectivement, le fait pour le Conseil constitutionnel de décider de la sorte est très peu rencontré dans la pratique constitutionnelle. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est d’usage que les parlementaires, qu’ils soient députés ou bien sénateurs, dès lors qu’ils envisagent de saisir le Conseil constitutionnel en réfèrent à son Secrétariat général avant la loi ne soit adoptée par le Parlement, ou dès lors que celle-ci vient d’être adoptée par celui-ci. Les juges du Conseil constitutionnel se prononcent alors dans une seule et même décision malgré les différents recours qui peuvent être portés à sa connaissance.