Quelles étaient les demandes des associations dans cette affaire ?
Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat, en date du 11 octobre 2023, il s’agissait de différentes saisines du Conseil d’Etat de la part de plusieurs associations formées en août et septembre dernier. Celles-ci ont notamment demandé au juge administratif suprême d’annuler la décision implicitement rendue par le Ministre de l’intérieur et des outre-mer qui a rejeté leur demande initiale visant à ce que toutes les mesures soient effectivement prises afin de s’assurer que les forces de l’ordre respectent l’obligation du port de l’identifiant individuel de manière visible.
Aussi, elles demandent de prescrire à ce même ministre d’adopter toutes les mesures qui permettent, in fine, de garantir le respect desdites obligations, en prévoyant d’une part l’édiction d’une instruction qui intime aux directions des forces de l’ordre d’« adapter leur réponse disciplinaire et de modifier les spécifications techniques » inhérentes au matricule de ces mêmes forces afin que celui-ci soit non seulement plus visible, mais aussi et surtout plus lisible et mémorisable pour les justiciables.
Qu’a décidé le Conseil d’Etat dans cette affaire ?
Dans cette décision les juges du Conseil d’Etat, réunis dans la formation de jugement la plus solennelle qui soit, s’agissant en effet d’un arrêt d’assemblée, ont décidé de prescrire au Ministre de l’intérieur et des outre-mer de prendre l’ensemble des mesures jugées nécessaires et utiles afin que soit garantie l’obligation pour les forces de l’ordre (police nationale et gendarmerie) de porter de manière effective leur numéro d’identification individuel ; ces mesures doivent être prises dans un délai déterminé de douze mois. Il est également décidé par le juge administratif suprême que ledit numéro soit lisible de manière suffisante, notamment lors des interventions effectuées à l’occasion de rassemblements.
Il est ici intéressant de noter que le Conseil d’Etat rappelle les règles en vigueur au regard de l’identification personnelle des agents des forces de l’ordre. En effet, il est évoqué que dans l’objectif de contribuer à des relations de confiance entre la population civile et les forces de l’ordre, et dans l’intérêt de tout un chacun, le numéro d’identification individuel de ces agents doit être visible sur leur tenue, sauf à imaginer des cas strictement déterminés liés à leurs missions propres.
Répondant à l’une des revendications formulées par les associations demanderesses, le Conseil d’Etat poursuit son raisonnement en relevant que cette obligation n’est pas exactement respectée dans la réalité du terrain. La lisibilité ainsi que le port effectif de ce numéro d’identification individuel sont, de manière trop récurrente, non garantie lors de rassemblements.
Ces constats étant réalisés, il est décidé qu’il revient au pouvoir exécutif de prendre l’ensemble des mesures qui sont en effet nécessaires et utiles afin que soit respectée cette obligation du port d’un numéro d’identification individuel, ce port devant par ailleurs être effectif.
Les juges du Conseil d’Etat retiennent cette première partie de la décision dans la mesure où, selon eux, il appartient de manière exclusive au Ministre de l’intérieur et des outre-mer d’adopter, dans un délai prédéterminé de douze mois, toutes mesures utiles et nécessaires afin que soit garantie cette obligation revenant à la charge des forces de l’ordre de porter de porter de manière apparente et lisible leur numéro d’identification individuel. A cela, ils ont décidé d’ajouter que les forces de l’ordre devront s’assurer qu’il est bien apparent même en imaginant que « l'emplacement habituel de leur matricule est recouvert par des équipements de protection individuelle » (cf. §18 de la décision).
Le Conseil d’Etat souligne que même s’il est régulièrement rappelé cette obligation par le Ministre de l’intérieur à l’attention des agents concernés, il n’en demeure pas moins que de trop nombreux éléments de la preuve du contraire sont régulièrement rapportés par tout type de protagonistes (population civile, associations ou encore le Défenseur des droits, pour ne citer qu’eux). Le Conseil d’Etat est même allé plus loin dans ses constatations puisqu’il est indiqué dans notre cas d’espèce que cette absence de port apparent « est répandue », cette dernière « ne se [limitant] pas à des défaillances ponctuelles » (cf. §12 de la décision).
Également, il fut retenu par le Conseil d’Etat qu’il appartiendra au Ministre de l’intérieur d’adopter, dans un même délai fixé à douze mois, l’ensemble des mesures qui sont utiles à l’effet de garantir que le numéro en cause soit lisible, et donc, d’une taille suffisante. Par conséquent, il appelle à ce que les caractéristiques dites techniques de ce numéro soient modifiées. Les juges du Conseil d’Etat, dans notre cas d’espèce, ont déploré les dimensions de ce numéro, telles qu’elles existent aujourd’hui, ne sont pas adaptées principalement dans le cadre de rassemblements ou bien d’attroupements. Sans entrer dans le détail technique de ces numéros, dont les caractéristiques diffèrent selon qu’il s’agisse d’un policier ou d’un gendarme, il est retenu que leur lisibilité fait défaut dans toutes les hypothèses opérationnelles, à l’occasion desquelles leur port est obligatoire.
Pour clore, il est intéressant de noter que cette décision rendue le 11 octobre 2023 établit le rôle du juge administratif face à un refus prononcé par l’administration de mettre un terme à une obligation de nature légale qui serait méconnue. De la sorte, il lui sera possible, lorsque la preuve de cette méconnaissance est apportée, de prescrire à la charge de l’administration de prendre l’ensemble des mesures qui sont utiles à l’effet de la corriger. Il ne saurait cependant pas se substituer aux pouvoirs publics de façon à définir une politique publique ou de prescrire à ces derniers une telle injonction.