La question prioritaire de constitutionnalité posée
En date du 16 septembre dernier, les juges du Conseil constitutionnel ont été saisis d’une QPC par les juges du Palais Royal concernant la conformité des articles L.130-11 et L.130-12 du Code de la sécurité routière aux droits et aux libertés garantis par la norme suprême, plus précisément dans leur rédaction telle qu’issue de la loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 sur l’orientation des mobilités.
Le premier article prévoit qu’il est possible pour l’autorité administrative d’interdire aux exploitants d’un service d’aide à la conduite, ou à la navigation par géolocalisation, de diffuser des messages ou des indications qui seraient émis par les utilisateurs desdits services. Cette interdiction est prévue pour certains types de contrôles routiers. Par ailleurs, le second article prévoit que pour le cas où ces exploitants ne respecteraient pas l’interdiction en cause, ceux-ci risquent deux années d’emprisonnement ainsi que 30 000 euros d’amende.
La Société Coyote system a argué du fait que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté d’expression et de communication et que cette atteinte ne serait en vérité pas nécessaire, ni adaptée et encore moins proportionnée à l’objectif effectivement poursuivi par le législateur.
Celle-ci considère de même que ces articles méconnaissent le principe d’égalité devant la loi puisqu’ils mettent en oeuvre des différences de traitement qui ne seraient pas justifiées pour les utilisateurs, au regard du type de réseaux empruntés par ces derniers ainsi qu’en fonction des technologies de diffusion d’informations auxquelles ils ont recours.
Quel a été le cheminement de la réflexion du Conseil constitutionnel ?
Tout d’abord, le Conseil constitutionnel a rappelé les dispositions contenues au sein de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789, précisant que tout abus de « la libre communication des pensées et des opinions » peut être réprimé par la loi lorsque celle-ci le prévoit.
Ce dernier ajoute que ce droit, aujourd’hui et en vertu du « développement généralisé » de ces services et de « l’importance prise [par eux] pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions », suppose la liberté d’y avoir accès et enfin de pouvoir s’y exprimer.
Toutefois, les sages rappellent qu’en application des dispositions constitutionnelles de l’article 34, il est possible pour les représentants de la Nation de prévoir des règles qui permettent la conciliation entre la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ainsi que la recherche des auteurs d’infractions pénales, et, l’exercice de la liberté d’expression et de communication, garantie par la Constitution.
Or, l’exercice de cette même liberté constitue une des conditions de la démocratie, de même que l’une des nombreuses garanties du respect des autres droits et libertés pouvant être effectivement exercés. Pour voie de conséquence, il est nécessaire que toute atteinte à cet exercice doit être à la fois nécessaire, adaptée et enfin proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur.
En vertu de ces différentes constatations, le Conseil constitutionnel a donc été en mesure de considérer que les dispositions législatives contestées par la société requérante portent en effet atteinte à cette liberté d’expression et de communication, garantie et protégée par la Constitution du 4 octobre 1958.
Celui-ci ajoute également que les dispositions en question permettent cependant de poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle susmentionné afin que les automobilistes ne puissent échapper à certains contrôles opérés par les forces de l’ordre. Il retient en effet que ces dispositions ne trouvent à s’appliquer qu’à l’égard de certains services expressément dédiés à l’aide à la conduite et à la navigation routières, et que l’interdiction contestée ne trouve à s’appliquer que dans certains cas explicitement et limitativement précisés par la loi et ce, à l’exception des contrôles de vitesse et d’autres événements et circonstances qui sont directement liés à la sécurité routière sur le réseau routier national (à l’image d’une zone d’accident ou de visibilité réduite, par exemple).
Le Conseil constitutionnel retient également que cette interdiction en cause est dans tous les cas d’une durée limitée et prévue par la loi ainsi que le périmètre dans lequel celle-ci peut s’appliquer valablement.
Néanmoins, les sages ont pu retenir que pour les cas particuliers, en dehors du réseau routier national, l’interdiction en cause trouve à s’appliquer à l’ensemble des informations qui sont rediffusées par la société d’exploitation à ses utilisateurs. Par conséquent, selon eux, cette interdiction pourrait s’appliquer à des informations qui n’auraient aucun rapport avec la localisation des contrôles des forces de l’ordre en cause. Ici, dans ce cas précis, il existe une atteinte à la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, ni adaptée ni encore proportionnée au but effectivement poursuivi.
D’où il suit que les juges de la rue Montpensier ont déclaré contraires à la norme suprême les dispositions législatives qui limitent au seul réseau routier national l’interdiction d’échanger des informations qui seraient sans aucun rapport avec cette localisation des contrôles opérés par les forces de l’ordre. Les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité (partielle) sont intervenus le jour même de la publication de la décision du 24 novembre 2021.
Sources : Conseil constitutionnel