Quels étaient les faits de l’espèce ?
Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Cour de justice de l’Union européenne, en date du 4 octobre 2024, il s’agissait d’un ressortissant de nationalité roumaine, né de sexe féminin, et qui partit résider au Royaume-Uni. Ce dernier acquit finalement la nationalité britannique par naturalisation.
Ce n’est qu’en 2017 que celui-ci put obtenir un changement de prénom ainsi qu’un changement de genre, devenant ainsi de genre masculin, suivants les règles britanniques en la matière (à savoir : la procédure du Deed Poll). Quelques années plus tard, en 2020, ce dernier obtint le certificat d’identité de genre (à savoir : le Gender Identity Certificate) sur lequel est officiellement apposé son nouveau genre.
Celui-ci disposant de la double nationalité, il demanda tout d’abord aux autorités roumaines de procéder à l’inscription desdites modifications au sein de son acte de naissance, puis la délivrance d’un certificat de naissance qui corresponde finalement aux mentions nouvelles susmentionnées. Face à ces demandes, les autorités de l’état civil roumain décidèrent de les rejeter dans la mesure où le droit interne roumaine prévoit qu’une telle inscription de changement de genre d’un individu, au sein d’un acte de naissance, doit nécessairement être admise par une décision de justice, celle-ci devant par ailleurs être devenue définitive.
Les questions posées par les juridictions de renvoi à la Cour de justice de l’Union européenne
La juridiction de renvoi, qui avait été saisie du recours par le ressortissant roumain, décida de poser deux questions préjudicielles conformément à la procédure.
En ce sens, tout d’abord, il fut demandé à la Cour de justice si le droit de l’Union européenne de répondre à la question de savoir si le droit de l’Union européenne s’oppose à l’obligation de mettre en œuvre une nouvelle procédure de changement revêtant la nature susmentionnée même si cette dernière fut conduite de manière légale au sein d’un autre Etat membre.
Ensuite, il fut demandé aux juges européens de s’intéresser aux conséquences juridiques découlant du Brexit, notamment à l’égard des effets juridiques de la procédure de changement d’identité en cause et qui a été mise en mouvement dans cet ex-Etat membre.
Qu’ont décidé les juges de la Cour de justice de l’Union européenne dans notre cas d’espèce ?
Dans cette décision, les juges de la Cour de Luxembourg ont de suite préciser qu’il revient à chaque Etat membre de l’Union européenne de respecter le droit de circuler et le droit de séjourner sur le territoire de l’Union européenne, et donc au sein de chaque Etat membre de cette organisation internationale. Ces précisions ont été effectuées sur le fondement des dispositions des articles 20 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ces constatations étant relevées, il convient de noter que le fait pour un Etat de refuser de reconnaitre le changement de prénom d’un ressortissant revêt la nature d’une entrave à l’exercice de ce même droit. Dans quelles mesures cela constitue-t-il une telle entrave ? Tout simplement parce qu’une divergence entre deux prénoms pourrait, dans la pratique et plus exactement dans des situations de la vie quotidienne, résulter sur des confusions aussi bien privées que publiques (ces règles ressortent de l’arrêt du 8 juin 2017, Freitag, aff. C-541/15).
Ces mêmes règles sont par ailleurs transposables au refus de modifier ou au refus de reconnaitre un changement d’identité de genre. Ces types de refus sont bien de nature à entrainer des obstacles de divers ordres, pouvant prendre la forme d’obstacles administratifs ou encore privés (cf. également en ce sens l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, aff. C-438/14). Ici, il est ajouté par les juges que le fait pour un ressortissant d’un Etat membre de devoir mettre en mouvement une nouvelle procédure à ce sujet, dans son Etat d’origine, risque bien d’aboutir sur un résultat différent de celui déjà obtenu auparavant.
Il est explicitement rappelé que les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui s’intéressent spécifiquement au droit au respect de la vie privée et familiale, garantissent l’identité sexuelle d’un individu en tant qu’élément fondamental de sa vie privée. Au sens d’une précédente jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, sur ce même sujet, il revient aux Etats de mettre en place une procédure qui doit être non seulement claire mais aussi prévisible afin de permettre une telle reconnaissance relative à l’identité de genre, et, le changement de sexe (cf. CEDH, 19/01/2021, X et Y c/ Roumanie, n° 2145/16 et 20607/16).
Quid des effets du Brexit à ce sujet ? Cette question n’est pas dénuée de sens puisque la Cour de justice de l’Union européenne s’y est intéressée et a relevé qu’en dépit du fait que la procédure de changement de prénom et la procédure de changement de genre ont été initiées au Royaume-Uni avant la survenue du Brexit, et qu’elles se sont conclues suite à ce dernier, ce constat est finalement sans incidence au regard de l’application effective du droit de l’Union européenne à ce sujet.
En fin de compte, cette décision rendue 4 octobre 2024 est importante en ce qu’elle contraint maintenant tous les Etats membres de l’Union européenne à reconnaitre utilement tous les effets juridiques desdits changements lorsqu’ils sont acquis de manière légale au sein de l’Union européenne, et ce peu importe qu’existent des discordances relatives à cette reconnaissance juridique au sein des droits internes nationaux.
Références
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=A69930C771068110BA6886F9547EAE4F?text=&docid=290695&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3930949
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=191310&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3933367
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=179469&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3933617
https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-207364