Les faits de l'espèce

Une militante Femen s'est rendue dans une église parisienne, en dehors de tout office religieux, et a mimé un avortement en utilisant un foie de boeuf. Elle était dénudée et sur son corps exposé étaient inscrits des slogans. Elle n'y resta que quelques instants, mais son action fut relayée par la presse, un certain nombre de journalistes étant présents sur les lieux. Le curé décida de déposer plainte avec constitution de partie civile. La militante fut notamment condamnée par le tribunal correctionnel à un mois d'emprisonnement, assorti d'un sursis simple pour exhibition sexuelle. Elle interjeta appel de la décision, mais la Cour d'appel de Paris confirma sa condamnation. Et la Cour de cassation rejeta son pourvoi.

La décision de la Cour européenne des droits de l'homme

Dans sa requête déposée devant la Cour européenne des droits de l'homme, la requérante conteste sa condamnation et argue d'une violation des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, article relatif à la liberté d'expression.

Dans sa décision, la Cour retient que la condamnation concernée revêt la nature d'une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression au sens de l'article 10 susmentionné. Elle considère en outre que cette ingérence viole les dispositions de cet article à l'exception d'une loi qui serait prévue à cet effet : en d'autres termes, si l'ingérence poursuit un ou des buts légitimes au sens de cet article, et si celle-ci est nécessaire pour les atteindre, alors l'ingérence sera justifiée. Tel n'est pas le cas ici.

La question posée à la Cour était celle de savoir si la militante savait, ou au contraire aurait dû savoir, si le comportement qu'elle a adopté et pour lequel elle fut effectivement condamnée revêtait la nature d'un acte pouvant engager sa responsabilité pénale sur la base de l'article 222-32 du Code pénal français.

Les juges de la Cour retiennent que la militante « pouvait raisonnablement s'attendre à ce que [son] comportement entraîne pour elle des conséquences pénales » (§39). Ils relèvent de même que les juridictions internes avaient pu « légitimement envisager de sanctionner ce comportement [dans un lieu public] », la requérante ayant exhibé une partie de son corps, qualifiée de « partie sexuelle », conformément au droit pénal français (§41).

Eu égard à l'ingérence, ils soulignent que la condamnation en cause se base sur le délit d'exhibition sexuelle au sens du droit français, infraction effectivement constatée. Toutefois, les juges notent que l'action de la requérante revêt le caractère d'une action militante et cherchait à véhiculer les idées portées par le mouvement des Femen, au nom duquel elle agissait précisément, concernant un débat public et sociétal, notamment la position adoptée par l'Église catholique, considérée comme « une question sensible et controversée » à l'égard du droit des femmes de recourir à l'avortement, et plus généralement au droit des femmes de pouvoir disposer librement de leur corps (§48).

La Cour observe que la liberté d'expression de la militante doit bénéficier d'un niveau de protection suffisant et en parallèle, bien que celle-ci ait été exercée dans le cas d'espèce de telle façon qu'elle pouvait offenser d'autres convictions, compte tenu du lieu choisi pour l'exercer, les autorités nationales disposaient d'une marge d'appréciation atténuée du fait du contenu intrinsèque de son message qui avait explicitement trait à un sujet d'intérêt général (§49).

La Cour avait déjà déduit dans une autre affaire qu'il était possible de condamner des militantes à certaines sanctions justifiées par des impératifs de protection des droits d'autrui (§51, CEDH, Mariya Alekhina et autres, 17/07/2018, n°30004/12, §214). Cependant, la Cour ne comprend pas, au regard des circonstances de faits, la peine d'emprisonnement prononcée qui se justifiait notamment pour garantir la protection de ces droits. Elle relève ensuite que le comportement de la requérante « avait pour seul objectif de contribuer (…) au débat public » (§53) et qu'au regard de la personnalité de son auteur, qui justifie le prononcé d'une peine, rien ne permettait de valablement justifier la peine privative de liberté dont elle a fait l'objet.

La Cour européenne des droits de l'homme retient également que les juridictions françaises n'auraient pas dû mettre en balance la liberté d'expression et le droit à la liberté de conscience et de religion (protégé par l'article 9 CEDH) pour condamner la requérante à une peine d'emprisonnement. Ce qui fait également défaut pour les juges de la Cour européenne des droits de l'homme réside dans le fait que les juridictions internes n'ont pas pris en considération le fait que l'action militante ait eu lieu en dehors de tout office religieux, et notamment que celle-ci avait rapidement quitté le lieu concerné après qu'un ministre de culte le lui a effectivement demandé. De même, les juges relèvent que les juridictions françaises ne se sont pas intéressées à la signification des inscriptions lisibles sur son corps et qui portaient un message de nature féministe, ni même au fait que, comme précisé par la requérante, l'utilisation du corps dénudé constitue pour les militantes du mouvement Femen, « un étendard politique », et encore moins le lieu dans lequel l'action a été effectuée et qui, par sa nature, permet de favoriser la médiatisation de l'action en cause (§64).

Par voie de conséquence, et au vu des éléments relevés par les juges, les juridictions nationales n'ont pas mis en balance les intérêts en présence conformément à la jurisprudence dégagée par la Cour européenne des droits de l'homme. Ces derniers ajoutent que l'ensemble des motifs qui ont été retenus par ces juridictions internes afin de prononcer une peine contre la militante du mouvement Femen ne sont pas proportionnés aux buts légitimes poursuivis. S'ensuit ainsi une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.

 

Sources : CEDH, Le Figaro, Actu juridique, Le Parisien