Une proposition pour le moins déconcertante et étonnante
Interviewée le 27 janvier 2025 par les journalistes d’Europe 1, l’eurodéputée Sarah Knafo a proposé que soit supprimé le juge des libertés et de la détention dans l’objectif principal suivant : faire que les peines prononcées soit effectivement exécutées par la justice.
Cette proposition est pour le moins, à la fois, déconcertante et étonnante en ce que le juge des libertés et de la détention n’a pas de compétence au regard de l’exécution d’une peine qui a été prononcée et pour cause, en droit de la procédure pénale, celui-ci intervient avant que la peine ne soit prononcée. En suggérant une telle suppression, il est clair que la députée européenne a tout simplement confondu l’office de deux juges distincts, à savoir : le juge de la liberté et de la détention et le juge de l’application des peines. Il est cependant à noter que les fonctions de ces deux juges du siège ne sont pas compliquées à appréhender dans la pratique.
Quelles sont les fonctions du juge de la liberté et de la détention et du juge de l’application des peines ?
Comme précisé ci-dessus, il convient de noter que ces deux juges ont des fonctions distinctes et interviennent finalement à des moments bien particuliers de la procédure pénale. Un point commun toutefois : ils sont magistrats du siège.
Ainsi, les juges des libertés et de la détention ont été créés par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000. Ces derniers sont en fait spécialisés en matière de liberté individuelle. Leurs fonctions intéressent la détention provisoire des individus qui ont été mis en examen, et ses alternatives possibles (par exemple l’assignation à résidence avec surveillance électronique). Ils détiennent également des compétences afin d’autoriser le prolongement d’une garde à vue concernant des infractions déterminées (il pourra, entre autres, s’agir de terrorisme). Ces juges interviennent alors même qu’aucun justiciable n’a effectivement été condamné à l’occasion d’un procès.
Il ne faut donc pas confondre l’office de ce juge avec celui du juge de l’application des peines qui, comme son nom l’indique explicitement, intervient dans le cadre spécifique de cette application. Il lui revient par conséquent de déterminer « (…) les principales modalités d’exécution des peines privatives de liberté » au sens de l’article 712-1 du Code de procédure pénale. Il est donc détenteur d’un panel de pouvoirs sur la peine qui a été prononcée à l’occasion d’un procès pénal : en ce sens, par exemple, il est en mesure de prévoir des aménagements de peine, ou bien de modifier des mesures de sursis probatoire qui auraient été prises. A l’inverse du juge des libertés et de la détention, le juge de l’application des peines intervient alors que le procès pénal est achevé et que la peine a été prononcée.
Pour reprendre la proposition de Sarah Knafo, et en la corrigeant, posons-nous la question de savoir s’il est nécessaire de supprimer le juge de l’application des peines ?
Faut-il supprimer le juge de l’application des peines ?
A l’occasion de cette même interview, l’eurodéputée a poursuivi en laissant entendre que le juge de l’application des peines est en mesure de prononcer la libération des criminels qui seraient, selon lui, bien comporté à l’occasion de leur enfermement. Dit-elle vrai dans cette affirmation ? Il nous faut répondre par la négative et préciser ici que les actions de ce juge sont en vérité inscrites au sein des dispositions du code de procédure pénale et que partant, celui-ci ne saurait faire ce que bon lui semble, d’autant que les décisions qu’il prend peuvent faire l’objet d’un recours devant la chambre de l’application des peines. La décision visant à ce qu’un individu sorte de prison ne découle donc pas d’une décision individuelle du juge de l’application de peines.
Intéressons-nous à la question de la suppression de ce juge. Peut-il valablement l’envisager ? Que ce soit au niveau constitutionnel ou bien prétorien, concernant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n’existe pas de dispositions ou de décisions qui prévoirait une telle existence obligatoire. Ce juge n’existait pas avant l’instauration de la Ve République et ses possibilités d’action en matière d’aménagements de la peine ont été confirmées et étendues par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.
Si l’on suit de manière très simple cette proposition de suppression, nous découlons nécessairement sur le constat problématique suivant : il n’existe plus aucune possibilité d’aménagement de la peine. Or qu’en serait-il du principe d’individualisation des peines, ce principe à valeur constitutionnelle ? De ce principe découle la nécessité de s’intéresser au comportement de l’individu condamné lorsque la peine dont il fait l’objet est en effet exécutée. Le juge de l’application des peines est en vérité un acteur majeur à cet égard en ce qu’il constitue le garant de ce principe à valeur constitutionnelle. Il lui revient de vérifier que la peine est à la fois nécessaire, proportionnée et individualisée lorsqu’elle est appliquée. Supprimer ce juge, pourquoi pas, mais cette mission devrait nécessairement revenir à un autre magistrat. C’est bien le serpent qui se mord la queue…
Références
https://www.europe1.fr/societe/pascal-praud-et-vous-sarah-knafo-doualemn-louane-a-leurovision-les-moments-forts-de-la-semaine-du-27-janvier-277828
https://www.vie-publique.fr/fiches/38262-quest-ce-quun-juge-de-lapplication-des-peines-jap
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000765204/
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006167527/#LEGISCTA000006167527