Le droit polonais prime sur le droit de l’Union européenne
C’est par une décision du 7 octobre dernier que la Pologne, par sa Cour constitutionnelle, a considéré que le droit polonais prime dorénavant sur le droit européen. Ce qui ressort de cette décision est clair : la Cour constitutionnelle polonaise a estimé que « l’ingérence » de la CJUE (la Cour de justice de l’Union européenne) avait pour résultat que la Pologne n’était pas en mesure de fonctionner à l’instar de tout autre État « souverain et démocratique » dès lors que celle-ci s’intéresse à ses affaires internes.
La Cour constitutionnelle polonaise remet en cause les articles premier et 19 du Traité sur l’Union européenne (le TUE). Cette décision est limpide : « le TUE [étant] subordonné à la Constitution (…), il doit respecter la Constitution. » La primauté du droit de l’Union européenne est donc contestée ; la norme suprême de l’ordonnancement juridique polonais étant la Constitution, l’ensemble des normes issues du droit européen doivent la respecter, y être conformes.
Mais au fait, pourquoi la Cour constitutionnelle polonaise a-t-elle décidé ainsi ? Cette décision fait suite à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, prise en date du 15 juillet dernier, qui avait jugé non conforme au droit européen une réforme interne qui visait à instaurer un système de sanctions disciplinaires particulier contre les juges polonais. La Cour avait alors considéré que cette réforme judiciaire interne ne fournissait pas « toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance » des juges polonais.
Cette décision implique-t-elle une volonté officieuse de la Pologne de sortir de l’Union européenne ?
D’un point de vue strictement officiel, la Pologne ne souhaite pas quitter l’Union européenne et suivre les pas du Royaume-Uni. Le Premier ministre polonais a toutefois déclaré qu’il souhaite mettre un terme à ce qu’il qualifie d’« ingérences » de la part de l’Union européenne, avant d’ajouter que l’avenir du pays est inscrit au sein de celle-ci. Par ailleurs, un sondage récent a montré que 80% des Polonais interrogés soutenaient effectivement l’appartenance de leur pays à l’Union européenne. Plusieurs manifestations ont également eu lieu en ce sens ces derniers jours dans plusieurs villes du pays ; la volonté des manifestants polonais présents était d’ailleurs d’affirmer qu’ils défendaient une « Pologne européenne ».
Pour rappel, la Pologne a intégré l’Union européenne en 2004 et constitue, à ce jour, l’une des principales bénéficiaires des aides financières européennes. En effet le plan de relance, qui a été adopté par l’Union européenne pour aider les États membres de celle-ci à sortir de la crise sanitaire liée à la Covid-19, prévoit 23 milliards d’euros de subventions au bénéfice de la Pologne et près de 34 milliards d’euros de prêts bon marché pour le pays.
Une crise annonciatrice d’autres difficultés pour l’Union européenne ?
Souvenez-vous, en 2005, le projet de Constitution européenne avait été rejeté par la voie du référendum. Or cette absence de constitution à l’échelle de l’organisation internationale peut poser des soucis pratiques. En effet bien que la primauté de son droit ait été instaurée, et régulièrement rappelée par les décisions de la CJUE notamment, celle-ci semblerait relativement faible. En la remettant directement en question, la Pologne pourrait avoir créé un précédent qui pourrait, in fine, être repris à leur compte par plusieurs États membres eurosceptiques et surtout la Hongrie, avec qui l’Union européenne connaît des difficultés actuellement.
Cette décision de la part de la Cour constitutionnelle polonaise remet en cause, outre le principe de primauté du droit européen sur les droits étatiques, la règle du caractère contraignant des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. Le risque majeur est d’affaiblir l’Union européenne dans son intégrité et dans son fonctionnement interne si d’autres États décident de suivre le contenu, le sens et la portée de cette décision, d’autant plus qu’actuellement l’Union européenne connaît certaines difficultés pour s’affirmer face à deux géants, à savoir : les États-Unis et la Chine.
De plus, certains observateurs comme l’avocat Jakub Jaraczewski considère cette décision comme étant un « Polexit politique ». En effet une telle décision de ne plus admettre comme règle impérative la primauté du droit européen ne reviendrait-elle pas à ne plus reconnaître l’Union européenne dans son intégralité ? Cette décision revêt, dans tous les cas, une attaque grave à l’encontre de cette organisation internationale. Clément Beaune, secrétaire d’État français aux Affaires européennes, s’inquiète des suites de cette décision en craignant « une sortie de facto » de la Pologne de l’Union européenne. Toutefois pour sa part, Marine Le Pen, qui est candidate à la prochaine élection présidentielle de 2022, a fait savoir qu’elle soutenait pleinement cette décision, arguant du fait que « la Pologne exerce son droit légitime et inaliénable à la souveraineté. » Cette déclaration préfigure-t-elle une volonté de la cheffe de parti d’engager un nouveau bras de fer avec l’Union européenne si elle venait à être élue ?
Sources :
- La Pologne provoque une crise juridique majeure en Europe - Les Echos
- Crise diplomatique après le rejet par la Pologne de la primauté du droit européen - Mediapart
- La primauté du droit européen remise en cause par la Pologne - Toute l’Europe