La décision à l’origine de la colère

Dans sa décision rendue le 26 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne ne s’attendait peut-être pas à ce que celle-ci suscite bien des interrogations. A cette occasion, en effet, celle-ci rappela explicitement que tout citoyen de l’Union européenne est en mesure de saisir le juge national et que ce dernier est en mesure d’appliquer le droit européen même pour le cas où celui-ci est contraire au contenu d’une ou plusieurs décisions rendues par une cour constitutionnelle interne.

Les critiques n’ont pas manqué et les commentateurs ont considéré qu’elle avait commis un coup d’Etat en privilégiant le droit européen. Il ne faut pas s’y tromper cependant car ce qu’a retenu la CJUE ne revêt en rien la nature d’un tel coup d’Etat, cette dernière basant sa décision sur des principes tirés directement du droit de l’Union européenne et de sa propre jurisprudence. 

Qu’est-ce que la primauté du droit européen ? 

Ce principe découle de la décision de la CJCE, rendue en 1964, Costa c/ ENEL. La Cour avait retenu que le traité de la CEE n’est pas un traité international ordinaire et que celui-ci « a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats » et que partant ce dernier s’impose nécessairement à ces derniers et à leurs juridictions nationales. C’est bien du fait même de « sa nature spécifique originale » que le droit de l’Union européenne prime sur les droits nationaux. 


En vérité, dans sa décision rendue en septembre 2024, la CJUE n’a fait que rappeler les principes tirés des traités européens et de sa jurisprudence qui en découle directement. Cette décision ne saurait alors pas revêtir la nature d’un coup d’Etat juridictionnel comme d’aucuns ont pu le déclarer. 

S’il est indéniable que ce principe de primauté du droit européen ne figure pas dans les traités, ce dernier est cependant inscrit au sein de la Déclaration n°17 annexée au Traité de Lisbonne. Le principe de primauté constitue donc un principe fondamental de l’Union européenne. Au surplus, retenons que les traités européens de même que le droit qui en découle priment sur le droit national et ce, « dans les conditions définies » par la jurisprudence de la CJUE, d’autant que la CJUE dispose d’une mission particulière au titre des dispositions du paragraphe 1 de l’article 19 du Traité sur l’Union européenne (TUE) en ce qu’elle interprète les traités.

Quel rôle pour les juges de droit commun de l’Union européenne ? 

Les juges nationaux sont qualifiés ainsi et doivent s’attacher à ce que le droit européen soit appliqué de manière uniforme sur le territoire de l’Union européenne et donc sur le territoire des Etats membres (cf. sous ce rapport le principe de coopération loyale tiré des dispositions de l’article 4 TUE et le renvoi préjudiciel fondé sur l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). 

Ainsi, dans certaines hypothèses, le juge national, y compris les juridictions de dernier ressort, sont contraintes de poser des questions aux juges de la CJUE afin que ces derniers interprètent le droit de l’Union européenne. Le principe de primauté s’applique de plein droit lors que la CJUE considère qu’une disposition de droit interne méconnait le droit de l’Union européenne. En fait, toutes les juridictions nationales sont contraintes d’écarter une disposition nationale dès l’instant où celle-ci est contraire au droit européen sans même qu’une autre juridiction supérieure n’ait à intervenir pour confirmer ce constat (cf. CJUE, 09/03/1978, Simmenthal, n°106/77). 

Il nous faut néanmoins souligner le fait que le juge national doit également répondre de l’ordre juridique interne conformément au droit constitutionnel nationale. Il a donc une double casquette et doit par conséquent répondre aussi bien droit interne que du droit européen. Certains ont pu déclarer que la souveraineté de l’Etat est remise en cause par la primauté accordée au droit de l’Union européenne. Cette double casquette peut résulter sur des difficultés pratiques car le juge national peut se trouver dans une situation complexe en fonction de ce qu’a décidé la cour constitutionnelle et la CJUE, notamment si la réponse apportée à la question diffère entre les deux institutions. Qu’à cela ne tienne, la CJUE a considéré en pareil cas qu’une juridiction nationale ne peut être liée par une décision rendue par une juridiction hiérarchiquement supérieure si celle-ci considère que « les appréciations [portées en droit] ne sont pas conforme au droit [européen] » (cf. CJUE, Grande chambre, 05/10/2010, Aff. C-173/09). 

Des tensions entre juges nationaux et CJUE

La décision rendue par la CJUE en septembre dernier s’inscrit dans une période relativement mouvementée notamment avec certains Etats membres qui remettent en cause l’autorité propre du droit européen. La France, qui accepte maintenant pleinement ce principe, s’est longtemps montrée réticente à ce sujet et il aura fallu attendre l’arrêt Nicolo (CE, Ass., 20/10/1989), pour que le droit de l’Union européenne soit finalement reconnu comme supérieur hiérarchiquement. 

La question qui se pose souvent réside dans celle de savoir si le droit européen prime sur les constitutions nationales, en tant que normes suprêmes. La France, par exemple, admet de manière indirecte cette supériorité mais la reconnait néanmoins (cf. dispositions de l’article 88-1 de la Constitution de 1958). 

En outre, nous pouvons relever la situation allemande qui a pu remettre en question la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit allemand. Ainsi, dans sa décision Weiss rendue en 2020 (05/05/2020), la Cour constitutionnelle allemande a considéré qu’à l’égard de politiques monétaires de la Banque Centrale Européenne, la CJUE avait dépassé ses prérogatives. 

Pour clore, et dans tous les cas, la CJUE n’a pas commis de coup d’Etat en décidant comme elle l’a fait dans sa décision rendue à l’automne 2024.

Références

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:62022CJ0792

https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/glossary/primacy-of-eu-law-precedence-supremacy.html#:~:text=Le%20principe%20de%20primaut%C3%A9%20(d%C3%A9nomm%C3%A9,droit%20de%20l%27UE%20pr%C3%A9vaut.

https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/droit-europeen-droit-national-quels-liens-entretiennent-ils/

https://lex.igo-ifj.be/sites/2122/files/articles/lettre_dinformation_de_la_semaine_du_23_au_27_septembre_2024.pdf