Propos introductifs

Pour comprendre le sens et la portée de cette décision, il nous faut rappeler les éléments suivants. L’ordonnance de 2016 portant réforme du droit des obligations, par l’instauration du nouvel article 1124 du Code civil, prévoit l’abandon des règles prétoriennes visant à exclure tout exécution forcée si le promettant rétracte son offre au regard d’une promesse unilatérale de vente. La troisième chambre civile de la Cour de cassation avait décidé, de manière strictement anticipée, de changer sa jurisprudence au regard des promesses unilatérales de ventes passées sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la réforme de 2016.
Par deux arrêts cette même chambre avait en effet décidé que bien qu’un contrat fut conclu sous l’empire de ce droit antérieur à 2016, le promettant s’engage juridiquement de manière irrévocable à procéder à la vente en cause et ce, dès qu’il a conclu ladite promesse. De ce fait, la règle prétorienne ainsi instaurée vise à considérer comme inutile tout rétractation du promettant peu importe que celle-ci ait lieu lorsque le délai d’option demeure ouvert au profit du bénéficiaire de la promesse (cf. en ce sens, Cass., civ., 3e, 20/06/2021, n° 20-17.554).
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans notre cas d’espèce, a exactement décidé du même arrêt, justifiant sa décision sur la nécessité de calquer sa jurisprudence sur la jurisprudence de la Troisième chambre civile. Pour elle, donc, il faut que toutes les promesses unilatérales de vente soient régies par les mêmes règles, et donc par celles établies par l’ordonnance de 2016, peu importe qu’elles aient été formées avant son entrée en vigueur.

Cas d’espèce

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Chambre commerciale, il s’agissait d’un protocole de vente particulier, qui contenait trois parties, et qui fut signé à l’été 2012. Toutefois, au printemps 2016, le promettant a décidé de rétracter l’option qu’il avait émis ; à l’été de la même année, le bénéficiaire décida d’informer le promettant de son intention de lever l’option en cause. Ce dernier décida d’assigner le promettant en exécution forcée de sa promesse unilatérale de vente. Il ne fut pas suivi dans ses griefs puisque les juges du second degré décidèrent de rejeter sa demande. Selon eux, la promesse étant conclue avant l’entrée en vigueur de la réforme de février 2016, et donc étant régie par le droit tel qu’il était applicable avant celle-ci, le fait que le promettant procède à la rétractation de ladite promesse empêchait tout simplement la rencontre utile des volontés entre les deux parties. Mécontent de cette décision, un pourvoi fut formé par le bénéficiaire évincé.

La décision rendue par la Chambre commerciale

Le cas d’espèce a constitué une occasion rêvée pour la Chambre commerciale pour changer sa jurisprudence en la matière. Elle décide donc ici de casser et annuler la décision rendue par la Cour d’appel. Pour décider ainsi, elle base sa décision sur la nécessaire prise en considération de l’évolution du droit des obligations français et de son désir prétorien de coordonner ses décisions sur celles de la troisième chambre civile susmentionnées sous ce rapport.
Une question s’impose cependant à la lecture de cette ordonnance portant réforme du droit des obligations. Son article 9 ne prévoit-il pas expressément que l’ensemble des contrats conclus avant son entrée en vigueur sont bien régis par les dispositions du droit qui lui sont antérieures ? Ce faisant, les juges de la Cour de cassation se sont véritablement libérés des règles juridiques transitoires mais aussi et surtout du principe de l’application de la loi dans le temps ce qui, in fine, aboutit à considérer comme sans intérêt ce type de règles pourtant nécessaires au regard du principe de sécurité juridique mais aussi et surtout, dans le cas des justiciables, au droit à un procès équitable. Qu’à cela ne tienne, la Chambre commerciale a décidé d’opposer au défenseur dans notre cas d’espèce le fait que ces principes « ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante. »

Le droit à un procès équitable bafoué ?

S’il est vrai et tout à fait envisageable qu’il ne faut pas que les justiciables puissent bénéficier d’une jurisprudence constante dans le temps, ce qui est préjudiciable réside absolument dans le fait que la Cour de cassation n’a pas entendu procéder à la modulation des effets de son revirement de jurisprudence dans le temps. Pour elle, le défendeur ne se voit pas victime d’une atteinte portée à son droit à un procès équitable dans la mesure où le revirement qui a été décidé en l’espèce était concevable au regard des jurisprudences rendues par les autres chambres de la Cour.
Concevabilité, prévisibilité et caractère certain d’un tel revirement ? En fait, s’il est vrai que toute jurisprudence peut être renversée, qu’une telle hypothèse est concevable, il n’en reste pas moins que celle-ci n’est en rien certaine.
En fin de compte, ce qui est intéressant à relever dans cet arrêt, réside dans la nature de cet arrêt. Même s’il est tout à fait normal de critiquer cet arrêt contestable notamment du fait de son sens et de sa portée qui contestent toute modulation de ses effets dans le temps, il est utile de relever que cet arrêt permet finalement de procéder à une conciliation entre les jurisprudences des différentes composantes de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français. De fait, in fine, tous les justiciables sont maintenant régis, dans le cadre des conventions qu’ils ont signées, au même droit, sans avoir à tenir compte de la date desdites conclusions.




Références
https://www.doctrine.fr/inscription?redirect_to=%2Fd%2FCASS%2F2023%2FCASSPF64711C1DDBC4EEEE5D7&require_login=false&sourcePage=Decision&kind=decisions
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/civil/contrat/40315/retractation-de-la-promesse-unilaterale-de-vente-position-de-la-chambre-commerciale
https://www.pwcavocats.com/fr/lettres-actualite/2021/avis-d-expert/retractation-promesse-vente-cour-cassation-sanction.html