Les intérêts de la constitutionnalisation de ce droit
D'un point de vue hiérarchique, pour rappel, la Constitution française revêt la nature de la norme suprême. Autrement dit, toutes les autres normes de l'ordonnancement juridique national doivent lui être conformes, et donc, la respecter.
La constitutionnalisation de ce droit, et donc attribuer à ce dernier la nature d'un droit fondamental, permet en premier lieu de lui conférer une valeur juridique supérieure et surtout, d'en limiter les possibilités de modification (soulignons le fait que la révision de la Constitution est un processus long et incertain).
En second lieu, et dans la même idée, si un droit est protégé par une loi, du fait même de l'application du parallélisme des formes, une autre loi peut tout à fait le limiter d'une manière plus ou moins forte, voire le supprimer. À l'occasion d'une discussion d'un texte, l'Assemblée nationale est en mesure d'obtenir le dernier mot. Or cette assemblée, du fait du mode d'élection de ses membres, est absolument politisée. Dans le cadre de ses missions, l'Assemblée nationale dispose en outre d'une force somme toute remarquable sur la loi : or, sous ce rapport, il faut noter que les forces en présence au sein de l'Hémicycle varient d'un quinquennat à l'autre, d'une élection à l'autre. Ce caractère si particulier doit être rappelé pour comprendre que les lois ne sont pas nécessairement pérennes et que la majorité en place, qu'elle soit majoritaire ou relative, est en mesure de faire, mais aussi de défaire les lois en vigueur. Les droits fondamentaux, bien qu'inscrits dans un texte tel que la loi, ne sont pas nécessairement bien protégés face à certaines modifications plus ou moins lourdes sur le sens et la portée de son contenu.
Le droit à l'avortement constitutionnalisé : une pérennisation certaine de sa protection ?
Même si les majorités et les oppositions au sein de l'Assemblée nationale se succèdent depuis le vote et l'entrée en vigueur de la Loi Veil en 1975, force est de constater que celles-ci n'ont pas recherché à en limiter les effets. Or il semble que les parlementaires français aient compris les leçons des nombreux retours en arrière quant à la protection de ce droit, en Europe, mais également aux États-Unis.
Procéder à la constitutionnalisation du droit à l'avortement jouerait alors un rôle majeur dans la protection et finalement dans la pérennisation de ce droit puisque pour le cas où une nouvelle majorité venait à accéder au pouvoir législatif, la procédure visant à la modification du contenu de la Constitution est aujourd'hui telle qu'elle risquerait de ne pas aboutir du tout. L'article 89 de notre texte suprême serait alors dans ce cas une protection bénéfique pour la garantie de ce droit, face à l'article 34 du même texte qui permettrait un changement de législation en la matière beaucoup plus rapide. Rappelons en effet que la procédure de modification de la Constitution est une procédure rigide, empreinte de règles strictes et somme toute difficiles à remplir.
Il est ici immédiatement utile de relever les conditions relatives à la modification de la Constitution telles que prévues par le texte constitutionnel lui-même : la révision de la norme suprême nécessite tout d'abord que les chambres formant le Parlement français, l'Assemblée nationale et le Sénat trouvent un accord, mais cet accord doit être trouvé dans les mêmes termes. La procédure ajoute qu'une adoption définitive est nécessaire par le vote à la majorité renforcée des trois cinquièmes des membres composant le Congrès (réunion des parlementaires, députés et sénateurs, à Versailles), ou bien cette adoption définitive est entérinée par l'organisation d'un vote populaire et donc d'un référendum à ce sujet, précision faite que le peuple souverain appelé à se prononcer sur cette problématique vote en faveur d'une telle modification du contenu de la Constitution.
Une portée juridique majeure accompagnée d'une portée symbolique remarquable ?
Si la constitutionnalisation du droit à l'avortement conférait à ce droit une portée juridique majeure, il semblerait également que cette inscription dans la Constitution lui attribuerait également une portée symbolique remarquable. En outre, et conformément au contenu du Préambule de la Constitution de 1958, l'inscription de ce droit marquerait véritablement « l'attachement » que le peuple français manifeste à son égard.
Cependant, il est utile de noter ici que bien que le fait de constitutionnaliser ce droit est une proposition louable et forte de symbole, la modification du texte suprême n'est en rien hypothétique. Nous pouvons envisager l'arrivée d'une nouvelle majorité qui pourrait, si elle le souhaitait, valablement modifier la Constitution et décider de ne plus garantir ce droit, même s'il y est inscrit. Retenons en effet qu'aucun droit fondamental inscrit dans la Constitution française ne dispose d'une valeur supra-constitutionnelle…
Soulignons également le fait que la loi devra toujours assurer ce que l'on appelle la garantie quotidienne du droit à l'avortement. C'est bien en ce sens qu'avait formulé la députée La France Insoumise Mathilde Panot : « La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits [IVG et contraception]. »
On le voit donc, la constitutionnalisation du droit à l'interruption volontaire de grossesse apparaît comme une idée louable, si ce n'est nécessaire face à de possibles rebondissements à l'Assemblée nationale, mais aussi au sein de l'exécutif. Cependant, nous avons vu que cette idée peut se heurter à certaines limites, principalement d'ordre procédural.
Sources : Public Sénat, Radio France, Université de Rouen