Quel était l'objet de la question prioritaire posée au Conseil constitutionnel ?
Il ressort de la décision commentée que le Conseil constitutionnel fut saisi par la Cour de cassation, en date du 21 septembre dernier, d'une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC) intéressant la conformité des dispositions contenues au sein de l'article 78-2, al. 14, du Code de procédure pénale, par rapport aux droits et aux libertés que celle-ci garantit. Plus précisément encore, ces dispositions sont celles issues de la loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
Il est indiqué par les juges du Conseil constitutionnel que les dispositions disputées intéressent l'ensemble des conditions qui permettent aux officiers de police judiciaire ainsi qu'aux agents de police judiciaire, et d'autres agents de police judiciaire adjoints, d'effectuer des contrôles d'identité de tout individu, « sur l'ensemble du territoire de Mayotte », afin que soient procédé à la vérification du respect des règles « de détention, de port et de présentation des titres et documents [exigés] par la loi. » (cf. §11 de la décision)
Des mesures de nature législatives critiquées
Il ressort des constatations opérées par le Conseil constitutionnel que la requérante argue que les dispositions susmentionnées, parce qu'elles autorisent à procéder à de tels contrôles sur tout le territoire de l'archipel, résultent sur « une pratique généralisée et discrétionnaire », d'où il s'ensuit, pour cette dernière, une méconnaissance de la liberté d'aller et venir (cf. §2 de la décision). Il ressort également desdites constatations que les dispositions en cause méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi dans la mesure où, sur le territoire d'autres collectivités ultra-marines, les contrôles d'identité sont certes effectués, mais uniquement au sein de zones géographiques déterminées.
Une atteinte à la liberté d'aller et venir ?
En s'intéressant à la question de savoir si les dispositions critiquées portent atteinte à la liberté d'aller et venir à Mayotte, le Conseil constitutionnel a expressément rappelé le contenu des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (ci-après DDHC), le premier étant relatif à la proclamation de la liberté, le second à la définition de cette notion, étant précisé que les restrictions à la liberté « ne peuvent être déterminées que par la loi. » Classiquement, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il incombe aux parlementaires français de s'assurer de la conciliation entre la prévention des atteintes à l'ordre public et l'exercice des libertés garanties par le texte constitutionnel suprême, et notamment, comme il ressort des critiques portées contre les dispositions sus-précisées, de la liberté d'aller et venir.
Ceci étant précisé, les juges soulignent la nécessité de mettre en oeuvre des procédures relatives au contrôle d'identité afin que des objectifs dits de valeur constitutionnelle (à savoir : la prévention des troubles à l'ordre public, ainsi que la recherche d'auteurs d'infractions) soient protégés. Ils rappellent que, même s'il est possible pour les parlementaires de concevoir que ces contrôles puissent être effectués sans que le comportement d'un individu ne le commande, le fait de contrôler des individus de manière généralisée et discrétionnaire « serait incompatible avec (…) la liberté d'aller et venir. » (cf. §10 de la décision).
Le Conseil constitutionnel retient, cependant, qu'en décidant d'adopter les dispositions de l'article 78-2 du Code de procédure pénale et qui autorisent à procéder à des contrôles d'identité sur tout le territoire de ce département d'Outre-mer, les membres du Parlement français ont cherché à poursuivre un objectif particulier, à savoir : la lutte contre l'immigration irrégulière. Pour les juges, cet objectif « participe à la sauvegarde de l'ordre public » (cf. §12 de la décision). En outre, les juges du Conseil constitutionnel soulignent le fait que le territoire de Mayotte, de par sa géographie, est particulièrement soumis à de forts risques de troubles à l'ordre public du fait d'un flux migratoire conséquent et plus précisément du fait de la présence d'un nombre important de personnes en situation irrégulière. D'où il suit que les risques en cause intéressent tout le territoire de l'archipel. Par conséquent, ils valident le choix effectué par les parlementaires et qui se traduit dans les dispositions législatives critiquées.
Une atteinte au principe d'égalité devant la loi ?
Dans un second temps, le Conseil constitutionnel s'est intéressé à la question de savoir si les dispositions critiquées dans le cadre de cette QPC sont contraires au principe d'égalité devant la loi. Celui-ci rappelle explicitement le contenu de l'article 6 DDHC qui prévoit que la loi se « doit d'être la même pour tous » (cf. §16 de la décision). Le principe étant rappelé, celui-ci souligne la possibilité de régler de manière distincte des situations distinctes ; de plus, ce principe ne s'oppose pas à ce qu'il soit dérogé à l'égalité uniquement pour « des raisons d'intérêt général » (cf. §16). Ainsi, dans ces deux cas, pour que l'exception au principe soit valable, la différence de traitement doit nécessairement être « en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (cf. §16). Pour appuyer cette possible exception au principe, le Conseil constitutionnel rappelle le contenu de l'article 73 du texte constitutionnel qui prévoit, entre autres, que des adaptations d'ordre normatif sont possibles dans les départements d'Outre-mer du fait de leurs « caractéristiques » ou de leurs « contraintes particulières ». De fait, pour lui, « dans une certaine mesure », les règles édictées par les parlementaires concernant les contrôles d'identité sur le territoire de Mayotte s'inscrivent dans ces circonstances prévues par la Constitution (§19 de la décision). En outre, le Conseil constitutionnel relève que cette adaptation trouve à s'appliquer sur le territoire sur lequel peuvent être utilement effectués de tels contrôles d'identité, « tout en maintenant les conditions auxquelles de telles opérations sont soumises sur le territoire de la République » (cf. §20 de la décision).
C'est finalement ici qu'intervient la réserve d'interprétation des juges du Conseil constitutionnel. En effet, ils relèvent que ces contrôles, autorisés par la loi, ne peuvent se fonder sur des critères discriminatoires « de quelque nature que ce soit entre les personnes » (cf. §20 de la décision). Parce que les dispositions législatives en cause ont été adoptées et sont appliquées du fait des circonstances tenant aux caractéristiques et aux contraintes particulières de Mayotte, la différence de traitement qui en résulte est bien en rapport avec l'objet de la loi.
Sous réserve d'interprétation, les dispositions législatives susmentionnées sont considérées comme conformes au texte constitutionnel suprême.
Sources : Conseil constitutionnel, Landot avocats, La Cimade