Que s’est-il passé en l’espèce ?
Il convient d’abord de noter que le devoir conjugal n’est pas mentionné au sein du Code civil français. Au sens de l’article 212 du Code civil, les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance. Pour leur part, les relations intimes entre époux relèvent plutôt des dispositions de l’article 215 du même code en ce qu’ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
Dans notre cas d’espèce, le fait pour une épouse de ne pas observer de manière volontaire ce devoir conjugal à l’égard de son époux constitue une faute grave ; le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’épouse. Les juges ont par ailleurs fait fi des arguments avancés par l’épouse, notamment ses problèmes de santé. La Cour de cassation en sa deuxième chambre civile a déjà pu considérer que l’abstention des relations intimes entre époux n’était en fait pas justifiée par des raisons médicales considérées comme étant suffisantes (cf. Cass. 2e civ., 17/12/1997, n° 96-15.704).
Il ressort de l’arrêt rendu par la Cour d’appel du 7 novembre 2019 (cf. n° 18/05762) que l’ensemble des arguments présentés par l’épouse à l’encontre de son mari ont été rejeté dans la mesure où les juges du second degré ont considéré qu’elle n’avait pas apporté la preuve des griefs avancés (par exemple le dénigrement de l’époux envers sa famille ou encore agressivité de ce dernier envers son épouse et ses enfants). La Cour d’appel a conclu que le divorce devait être prononcé aux torts exclusifs de l’épouse dans la mesure où son refus continu de ne pas entretenir de relations intimes avec son époux ne pouvait valablement se justifier sur une période aussi importante, même par son état de santé.
Mécontente de cette décision, l’épouse décida de se pourvoir en cassation. La Cour de cassation décida cependant, par une décision rendue à l’automne 2020, de rejeter ce pourvoi dans la mesure où les causes du divorce relèvent exclusivement du pouvoir souverain du juge du fond.
Article 8 CEDH, atteinte à la vie privée et le droit conjugal
Par une requête en date du 5 mars 2021, la requérante a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme en la fondant sur les dispositions de l’article 8 CEDH, protégeant le droit à la vie privée et familiale. Cette dernière décida de condamner la France et rappela, notamment, les différents engagements pris par la France notamment concernant la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences domestiques.
Dans sa décision rendue le 23 janvier 2025, les juges se sont intéressés à la question de savoir s’il y avait eu une atteinte légitime à la vie privée de la requérante, en mentionnant l’absence de rapports sexuels, par rapport au but recherché, et donc par rapport au prononcé du divorce (aux torts exclusifs de celle-ci). Pour eux, il n’était pas nécessaire de mentionner l’état des relations intimes des époux, relations par ailleurs protégées par le droit à la vie privée : la réaffirmation du devoir conjugal d’une part, et prononcer le divorce aux torts exclusifs de l’épouse d’autre part, constituent « des ingérences dans son droit au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de disposer de son corps ».
En l’espèce également, les ingérences en cause apparaissent légitimes en ce qu’elles résident dans le prononcé du divorce et donc au droit des deux époux de mettre un terme à leur relation matrimoniale, cette finalité se rattachant in fine à « la protection des droits et libertés d’autrui » conformément à la CEDH. Néanmoins, les juges de la CEDH considèrent que le consentement de l’épouse n’a pas été pris en considération tandis que celui-ci revêt la nature d’une limite à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui.
De ces constatations, les juges considèrent que l’obligation matrimoniale concernée est contraire d’une part à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps, et d’autre part à l’obligation pesant sur les Etats contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles de les prévenir.
Et ceux-ci de conclure sur le fait qu’en absence de motifs qualifiés de « pertinents et suffisants », les juridictions françaises n’ont pas procédé à ménager « un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu ». Ceci suffit à conclure sur le fait que l’article 8 CEDH a été méconnu.
Quelles leçons tirer de cette décision ?
Cette décision questionne sur le fait que le devoir conjugal puisse servir de base de la faute dans le cadre d’un divorce. Cette décision est surtout intéressante en ce qu’elle fait primer le consentement de la femme sur toute autre considération, de même que la liberté de disposer de son corps, de tout temps et à l’égard de quiconque, y compris de l’époux.
Il est à parier que cette décision aura un impact sur la jurisprudence des tribunaux français qui devront repenser cette notion de devoir conjugal. Il est également à noter que le viol conjugal revêt la nature d’un crime (cf. en ce sens, Cass. crim., 05/11/1990, n° 90-83.786, puis les dispositions de la loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs).
Finalement cette décision insiste bien sur le fait que le consentement est le maitre mot dans toutes les relations sexuelles, y compris entre époux, et que le mariage ne doit pas constituer une zone grise dans laquelle il pourrait exister une certaine impunité au regard des violences et abus sexuels.
Références
https://hudoc.echr.coe.int/eng/#{%22itemid%22:[%22001-240199%22]}
https://www.actu-juridique.fr/civil/personnes-famille/cedh-la-mort-du-devoir-conjugal-annonciatrice-de-la-fin-du-divorce-pour-faute/
https://www.avocat-paris-lmayer.com/divorce-pour-faute-prononce-pour-refus-de-relations-intimes-sanctionne-par-la-cedh_ad884.html