Quels étaient les faits de l’espèce et la procédure ?

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il s’agissait d’une salariée qui avait été embauchée en tant que coiffeuse. Cette dernière a décidé de saisir le Conseil des Prudhommes en demandant notamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail mais aussi en paiement de sommes diverses au regard de l’exécution et de la rupture dudit contrat qui le liait à son employeur. Celle-ci fit par la suite l’objet d’un licenciement pour inaptitude et il découle des faits de l’espèce qu’elle n’a pu être reclassée. En appel, la salariée fut déboutée de l’ensemble de ces demandes. Mécontente de cette décision, elle décida en fin de compte de se pourvoir en cassation et posa la question de la recevabilité, en tant que mode de preuve, des documents qui sont produits par un employeur dès lors qu’il n’existe pas de système de mesure de la durée du travail effectué par un salarié mis en œuvre par ce dernier.

Dans sa décision rendue le 7 février dernier, la Chambre sociale a été précise à ce sujet.

Qu’a décidé la Cour de cassation au regard du temps de travail effectivement accompli par un salarié ?

Les juges de la Cour de cassation se sont basés sur diverses dispositions contenues au sein du Code du travail afin de répondre à la question posée par la salariée. Ainsi, pour débuter, la Cour de cassation a relevé les dispositions contenues au sein de l’article L. 3171-2 du Code du travail, et plus spécifiquement les dispositions de son alinéa premier. Il est prévu par cet alinéa que dès lors que l’ensemble des « salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif » (cf. §6 de la décision), il revient à l’employeur de procéder à l’établissement de tous les documents qui sont nécessaires au décompte de cette durée de travail, mais également des repos compensateurs et de la prise effective de ces repos par les salariés qui en sont concernés. La Cour poursuit son raisonnement en évoquant les dispositions de l’article L. 3171-3 dudit code et qui prévoient qu’il revient à l’employeur de tenir à la disposition de l’agent de contrôle de l’inspection du travail tout document qui permet in fine de procéder à la comptabilisation du temps de travail en effet accompli par chacun des salariés concernés. Il revient enfin au règlement de prévoir la nature desdits documents mais aussi le délai à l’intérieur duquel ces documents doivent être tenus à cette disposition. La Chambre sociale de la Cour de cassation continue en précisant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 3171-4 du Code du travail, et à l’occasion d’un litige inhérent à l’existence d’heures de travail accomplies ou bien du nombre de ces mêmes heures, il revient exclusivement à l’employeur de fournir au juge tous les éléments qui seraient de nature à justifier les horaires qui ont été effectués par le salarié en cause. Sous ce rapport, il convient de noter que le juge formera sa conviction conformément à ces éléments et sera en mesure, s’il le décide, d’ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il jugera utiles. Il est également précisé par la Cour que pour le cas où le décompte de ces heures est permis par un système d’enregistrement automatique, il est explicitement rappelé que celui-ci doit non seulement être fiable mais également infalsifiable (cf. § 6 et 7 de cette décision).

Ces premiers éléments étant précisés, la Cour retient que pour le cas où un litige apparait entre le salarié et son employeur eu égard à l’existence ou bien au nombre d’heures de travail effectivement accomplies, il reviendra au salarié de présenter, lors de sa demande, des éléments devant être suffisamment précis de manière à assurer à l’employeur (dont il lui revient personnellement d’assurer ce contrôle des heures de travail effectuées par le salarié concerné) la possibilité d’y répondre en apportant ses propres éléments (cf. spécifiquement §7 de ladite décision). C’est sur la base des éléments qui lui sont produits que le juge sera en mesure de former sa propre conviction. Ici, il est intéressant de noter que lorsque le juge a procédé à l’examen de toutes les pièces qui lui ont été communiquées par le salarié et l’employeur, et dès lors qu’il décide de retenir l’existence de telles heures supplémentaires effectuées par le salarié, il lui revient de manière exclusive et souveraine d’évaluer l’importance des heures supplémentaires puis de fixer les créances salariés qui s’y rapportent en effet : le juge n’est alors pas contraint de préciser la manière dont il effectue ce calcul.

La Chambre sociale de la Cour de cassation relève également le contenu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment la décision Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), du 14 mai 2019 (cf. Aff. C-55/18, point 60). Ici, et de façon à assurer l’effet utile des droits qui découlent tout d’abord directement de la Directive 2003/88/CE du 4/11/2003 mais aussi des dispositions de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il revient aux Etats membres de l’Union européenne d’imposer aux employeurs cette obligation d’instaurer un système à la fois objectif, fiable et enfin accessible qui doit permettre de mesurer le temps de travail journalier accompli par tout travailleur (cf. §9 de la décision).

Pour le cas où ce système n’aurait pas été mis en place par l’employeur, ce dernier est toutefois en mesure de produire tout élément (de droit, de fait mais aussi de preuve) relatif à l’existence de telles heures de travail accomplies ou bien à leur nombre et ce, dans la limite de la prescription applicables aux salariés (cf. §10 de ladite décision ; Cass. soc., 09/04/2008, n°07-41.418).