Quels étaient les faits de l’espèce ?
Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté la CEDH, il s’agissait d’une requérante qui considérait que les dispositions contenues au sein du paragraphe premier de la Conv. EDH avaient été méconnues par la Cour de cassation, dans le cadre de son arrêt : elle considérait plus spécifiquement que cette décision avait porté une atteinte excessive à son droit d’accès à un tribunal.
Dans sa décision rendue le 21 novembre dernier, la CEDH a expressément rappelé que le droit d’accès à un tribunal, comme tout droit, ne saurait être considéré comme étant absolu. En effet, ce droit est impacté par un certain nombre de limitations pouvant valablement être reconnues, dans la mesure où chaque Etat est en mesure de l’aménager et dispose, par voie de conséquence, d’une certaine marge d’appréciation à ce sujet. Ces constatations étant effectuées, il est nécessaire de rappeler également que les limitations en cause ne doivent pas avoir pour objet de restreindre le droit, pour tout justiciable, d’accéder à un tribunal et partant, que ces mêmes limitations ne doivent pas impacter l’essence même de ce droit. Ainsi, lesdites limitations sont acceptées uniquement si celles-ci poursuivent un but légitime, mais également si une proportionnalité existe entre les moyens et le but recherché.
Les dispositions attaquées en l’espèce sont celles de l’article 979, al. 1er, du Code de procédure civile français qui prévoit qu’il revient au demandeur au pourvoi de produire la décision attaquée de même que la décision confirmée, ou infirmée, dans un délai de quatre mois à compter du pourvoi et ce, sous peine d’irrecevabilité.
Dans sa décision, la CEDH retient que cette restriction posée par le Code de procédure civile permet aux magistrats concernés d’obtenir rapidement l’ensemble des pièces pour être en mesure d’examiner le pourvoi dont ils sont en effet saisis. Ainsi, cette règle permet d’atteindre un but légitime, à savoir : la bonne administration de la justice, et permet également de garantir la sécurité juridique.
Toutefois se pose la question de savoir si la Cour de cassation française, par l’application desdites règles, a permis de mettre en œuvre un juste équilibre entre les différents intérêts en cause en l’espèce, mais aussi si celle-ci a garanti un rapport de proportionnalité entre les moyens et le but concernés.
Qu’ont décidé les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Il est reporté dans l’arrêt de la CEDH que la requérante reconnait que son conseil a tout d’abord transmis non pas le jugement postérieur rendu par le tribunal d’instance (et qui correspond ici à la décision confirmée), mais a d’abord transmis le jugement du tribunal de grande instance. Toutefois, celle-ci précise que toutes les autres obligations de nature procédurale ont été respectées, et ceux avec célérité.
En effet, il est relevé que lorsque le greffe de la Cour de cassation en a fait la demande, cette dernière lui a communiqué les bonnes pièces et ce, en outre, avant que ne soit finalement désigné un rapporté afin que l’affaire en cause soit instruite. Ceci étant, cette erreur n’a pas résulté sur un quelconque retard dans l’examen du pourvoi en cause puisque le rapporteur, dès qu’il fut désigné, disposa d’un dossier complet afin d’examiner l’affaire. Selon la CEDH, cette erreur effectivement commise est mineure et qu’in fine, aussi bien la bonne administration de la justice que la sécurité juridique n’ont été impactées négativement.
Maintenant, considérant le formalisme des règles procédures françaises, les juges de la CEDH ont précisé que l’observation de celles-ci ont pour finalité de faire trancher un litige de nature civil et permet notamment d’aboutir aux résultats suivants : la limitation du pouvoir discrétionnaire, prévenir toute tentative arbitraire ou encore à ce que le litige en cause soit jugé effectivement dans un délai raisonnable afin que la sécurité juridique soit garantie. La CEDH considère ce droit d’accès protégé par les dispositions de l’article 6 Conv. EDH n’ont pas pour objet d’imposer aux autorités judiciaires internes d’ordonner aux parties au litige de procéder à la régulation de ladite procédure lorsqu’une formalité est d’abord méconnue par l’une d’entre elles, puis lorsque cette dernière est en effet constatée.
Concernant le formalisme excessif, la Cour rappelle que l’observation des règles formelles de procédure civile, qui permettent aux parties de faire trancher un litige civil, est utile et importante, car elle est susceptible de limiter le pouvoir discrétionnaire, d’assurer l’égalité des armes, de prévenir l’arbitraire, de permettre qu’un litige soit tranché et jugé de manière effective et dans un délai raisonnable, et de garantir la sécurité juridique et le respect envers le tribunal. Elle estime que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 n’impose pas aux autorités judiciaires d’inviter les parties à régulariser la procédure chaque fois que la méconnaissance d’une formalité est observée.
Toutefois, il fut retenu que l’article du Code de procédure civile susmentionné a pour objectif de de procéder à l’envoi de productions imparfaites ou bien inexactes dans des conditions spécifiques, l’objectif principal étant en vérité de ne pas prononcer une sanction procédure qui revêtirait un caractère disproportionné si certaines pièces ne sont pas remises. La Cour de cassation française avait considéré que la production du mauvais jugement ne pouvait être une erreur matérielle et qui pourrait être régularisée conformément à l’alinéa second dudit article.
Au surplus, la CEDH considère que le droit interne fut appliqué de telle manière qu’il consistait en une barrière qui avait pour résultat d’empêcher l’affaire d’être jugée alors même qu’elle était sur le point de l’être, la requérante ayant complété le dossier avec rigueur et diligence. En conséquence, CEDH jugea que l’interprétation d’une part, l’application d’autre part de la règle inséré dans l’article 979 du Code de procédure civile furent toutes deux effectuées d’une manière rigoriste. Pour elle, finalement, la requérante fut contrainte de supporter une charge excessive alors même que cette interprétation et cette application n’étaient en rien fondamentales à l’administration de la justice ni même à la sécurité juridique.
De fait, il y a bien eu atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal pour la requérante.
Références
https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-238025%22]}
https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=etagere_see&id=47
https://www.vie-publique.fr/fiches/38297-arrets-de-la-cedh-quelles-consequences-sur-la-justice-francaise