Souvenez-vous, dans un précédent article publié en début d’année, nous avions évoqué un arrêt rendu par le Cour de justice de l’Union européenne qui s’était intéressé à la question de l’utilisation de certains insecticides dans le cadre de la culture des betteraves sucrières. Dans la lignée de cette décision, le Conseil d’Etat est intervenu le 03 mai 2023 (n° 450155). Le juge administratif suprême a considéré dans cette décision que l’ensemble des dérogations qui avaient été octroyées de manière temporaire sont illégales dans la mesure où la Commission européenne avait explicitement interdit une telle utilisation. Décryptage.
Pourquoi la mise en œuvre de telles dérogations a-t-elle été décidée par l’exécutif ? En vérité, ces dérogations intéressaient les semences de betteraves sucrières qui avaient été préalablement traitées par l’utilisation de ces produits. Ces dérogations visaient expressément à sauvegarder ce type de cultures contre de possibles infestations de nuisibles porteurs de maladies, infestations qui auraient eu pour effet de réduire à peau de chagrin la récolte finale. Dans les faits, un certain nombre d’acteurs s’étaient mobilisés et avaient finalement décidé de saisir le Conseil d’Etat afin que ce dernier invalide ces autorisations temporaires ; ces acteurs regroupaient, entre autres, des apiculteurs, des associations de défense de l’environnement ou bien encore des agriculteurs.
Pourquoi de telles dérogations ont-elles pu être accordées ? Il faut ici s’intéresser au droit de l’Union européenne tel qu’il ressort notamment des dispositions contenues au sein de l’article 53 du Règlement CE n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, pris en date du 21 octobre 2009. Ce règlement a trait à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Il a pour objet de permettre à un Etat membre de l’Union européenne d’autoriser, de façon strictement temporaires, l’utilisation d’un produit pesticide qui n’est pourtant pas homologué au sein de l’Union et dans le cas particulier où il existe un risque grave pour l’agriculture et s’il n’existe aucune alternative possible à cet usage.
C’est à cette occasion que la Cour de justice de l’Union européenne décida qu’à partir du moment où la Commission européenne interdit explicitement, par le biais particulier d’un règlement d’exécution, l’usage de semences traitées par un tel produit, par conséquent il apparait impossible pour un Etat membre de l’Union européenne d’attribuer des dérogations, même si celles-ci sont exactement temporaires, et qui autorisent la mise sur le marché de tels produits. Il était également ajouté que cette interdiction avait été décidée sur la base des règlements d’exécution du 29 mai 2018 (cf. n° 2018/783 et 2018/785).
Pour conclure ainsi au regard des requêtes déposées par divers acteurs, le Conseil d’Etat, dans cette décision, vient préciser que les règlements d’exécution susmentionnés, pris en date du 29 mai 2018 par la Commission européenne, et venant remanier les conditions inhérentes à l’autorisation de certaines substances actives d’insecticides, prévoit bien l’interdiction précisée dans les paragraphes ci-dessus reportés mais prévoient une exception. En effet, ces règlements permettent une telle utilisation uniquement dans le cadre des cultures dans des serres permanentes, sur l’intégralité de la vie de la plante, des semences à la récolte finale, et ce, sans que ces cultures en cause ne soient par la suite plantées en extérieur, et par conséquent hors des serres permanentes (cf. §7 de la décision).
Ces précisions étant de fait effectuées, les juges du Conseil d’Etat ont retenu qu’il « [n’était] pas allégué que des cultures de betteraves sucrières seraient pratiquées » dans de telles conditions, et donc, sous des serres permanentes (cf. §8 de la décision). Par voie de conséquence, il fut retenu que le Gouvernement français n’avait pas été en mesure de se baser sur les dispositions précitées de l’article 53 dudit règlement aux fins d’autoriser un tel usage de semences effectivement traitées avec de tels produits.
Le Conseil d’Etat conclut de fait, dans le paragraphe 9 de sa décision, que les requérants ont alors été fondés à demander l’annulation des deux arrêtés pris en date du 5 février 2021 et du 31 janvier 2022. L’Etat fut alors condamné à verser diverses sommes aux parties requérantes, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative « au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »
Références
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2023-05-03/450155
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=269405&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1486798
https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/neonicotinoides-le-conseil-detat-juge-les-derogations-illegales-20230503_6HK47F2JLFC65OR7Y3MW6AK4VI/
https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/neonicotinoides-le-conseil-d-etat-juge-les-derogations-accordees-en-2021-et-2022-illegales_5806466.html
Le rappel des faits de l’espèce
Une interdiction est en vigueur non seulement en France mais aussi au niveau européen depuis 2018 et vise expressément l’utilisation des néonicotinoïdes qui constituent une catégorie d’insecticides. Cependant, le Gouvernement français a décidé, à deux reprises en 2021 et en 2022, d’attribuer des dérogations strictement provisoires pour l’utilisation de deux insecticides de cette catégorie. Il s’était fondé sur les dispositions contenues au sein de la loi du 14 décembre 2020 inhérente « aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières ». Ces dérogations intéressaient en effet plus spécifiquement la culture des betteraves sucrières.Pourquoi la mise en œuvre de telles dérogations a-t-elle été décidée par l’exécutif ? En vérité, ces dérogations intéressaient les semences de betteraves sucrières qui avaient été préalablement traitées par l’utilisation de ces produits. Ces dérogations visaient expressément à sauvegarder ce type de cultures contre de possibles infestations de nuisibles porteurs de maladies, infestations qui auraient eu pour effet de réduire à peau de chagrin la récolte finale. Dans les faits, un certain nombre d’acteurs s’étaient mobilisés et avaient finalement décidé de saisir le Conseil d’Etat afin que ce dernier invalide ces autorisations temporaires ; ces acteurs regroupaient, entre autres, des apiculteurs, des associations de défense de l’environnement ou bien encore des agriculteurs.
Pourquoi de telles dérogations ont-elles pu être accordées ? Il faut ici s’intéresser au droit de l’Union européenne tel qu’il ressort notamment des dispositions contenues au sein de l’article 53 du Règlement CE n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, pris en date du 21 octobre 2009. Ce règlement a trait à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Il a pour objet de permettre à un Etat membre de l’Union européenne d’autoriser, de façon strictement temporaires, l’utilisation d’un produit pesticide qui n’est pourtant pas homologué au sein de l’Union et dans le cas particulier où il existe un risque grave pour l’agriculture et s’il n’existe aucune alternative possible à cet usage.
Des dérogations strictement temporaires pourtant écartées par la CJUE
Dans leur décision du 19 janvier 2023, et dont nous en avions rapporté l’essentiel dans un précédent article, les juges de la Cour de justice de l’Union européenne avaient été saisis d’une question préjudicielle posée par les juges du Conseil d’Etat belge (cf. arrêt C-162/21 du 19 janvier 2023).C’est à cette occasion que la Cour de justice de l’Union européenne décida qu’à partir du moment où la Commission européenne interdit explicitement, par le biais particulier d’un règlement d’exécution, l’usage de semences traitées par un tel produit, par conséquent il apparait impossible pour un Etat membre de l’Union européenne d’attribuer des dérogations, même si celles-ci sont exactement temporaires, et qui autorisent la mise sur le marché de tels produits. Il était également ajouté que cette interdiction avait été décidée sur la base des règlements d’exécution du 29 mai 2018 (cf. n° 2018/783 et 2018/785).
La lignée jurisprudentielle du Conseil d’Etat
Sans véritable surprise de la part des juges de la Haute juridiction de l’ordre administratif français, ces derniers ont décidé par leur arrêt rendu le 03 mai 2023 de s’inscrire dans la lignée jurisprudentielle mise en place par les juges de la Cour de justice de l’Union européenne. Ils ont ainsi jugé que l’autorisation de telles dérogations pour la culture des betteraves sucrières sont illégales dans la mesure où leur utilisation était effectivement interdite. D’où le prononcé de l’annulation desdites dérogations accordées par deux fois par les autorités françaises en 2021 et 2022.Pour conclure ainsi au regard des requêtes déposées par divers acteurs, le Conseil d’Etat, dans cette décision, vient préciser que les règlements d’exécution susmentionnés, pris en date du 29 mai 2018 par la Commission européenne, et venant remanier les conditions inhérentes à l’autorisation de certaines substances actives d’insecticides, prévoit bien l’interdiction précisée dans les paragraphes ci-dessus reportés mais prévoient une exception. En effet, ces règlements permettent une telle utilisation uniquement dans le cadre des cultures dans des serres permanentes, sur l’intégralité de la vie de la plante, des semences à la récolte finale, et ce, sans que ces cultures en cause ne soient par la suite plantées en extérieur, et par conséquent hors des serres permanentes (cf. §7 de la décision).
Ces précisions étant de fait effectuées, les juges du Conseil d’Etat ont retenu qu’il « [n’était] pas allégué que des cultures de betteraves sucrières seraient pratiquées » dans de telles conditions, et donc, sous des serres permanentes (cf. §8 de la décision). Par voie de conséquence, il fut retenu que le Gouvernement français n’avait pas été en mesure de se baser sur les dispositions précitées de l’article 53 dudit règlement aux fins d’autoriser un tel usage de semences effectivement traitées avec de tels produits.
Le Conseil d’Etat conclut de fait, dans le paragraphe 9 de sa décision, que les requérants ont alors été fondés à demander l’annulation des deux arrêtés pris en date du 5 février 2021 et du 31 janvier 2022. L’Etat fut alors condamné à verser diverses sommes aux parties requérantes, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative « au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »
Références
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2023-05-03/450155
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=269405&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1486798
https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/neonicotinoides-le-conseil-detat-juge-les-derogations-illegales-20230503_6HK47F2JLFC65OR7Y3MW6AK4VI/
https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/neonicotinoides-le-conseil-d-etat-juge-les-derogations-accordees-en-2021-et-2022-illegales_5806466.html