Un procès hors norme qui sera jugé par une cour criminelle départementale
Alors que la première semaine du procès de Joël Le Scouarnec s’est achevée le 28 février, ces premiers jours ont permis d’en apprendre plus sur la personnalité de l’accusé. La Cour criminelle du Morbihan en saura donc plus sur l’accusé. Toutefois pourquoi cette affaire n’est-elle pas connue d’une cour d’assises ?
Souvenez-vous en 2019, la Garde des Sceaux de l’époque, Nicole Belloubet, avait affirmé, lorsqu’elle évoquait la création de ces cours criminelles départementales, que les cours d’assises demeureraient compétentes pour connaître des crimes les plus graves.
Cependant l’affaire Le Scouarnec sera jugée uniquement par une cour criminelle départementale et non une cour d’assises. Cette cour n’est pas composée d’un jury populaire mais de 5 magistrats. Faut-il rappeler qu’il est reproché à l’accusé des viols et agressions sexuelles sur 299 victimes mineures ? Ces faits ne sont-ils donc pas suffisamment « graves » comme l’affirmait la Garde des Sceaux ? Nombre d’acteurs de la justice, mais aussi des associations et collectifs s’interrogent et déplorent que de telles infractions soient connues de ces cours qui, pour certains d’ailleurs, contribuer à rendre invisible les viols, faisant de ceux-ci des viols de « seconde classe ».
L’ouverture de ce procès important constitue pour nous l’occasion de revenir sur le fonctionnement d’une part, et d’autre part l’efficacité de ces juridictions.
L’objectif de la rapidité des cours criminelles départementales : un objectif non atteint
Les défenseurs de ces juridictions soulignent le gain de temps que celles-ci permettent à la justice. Il n’en est rien dans les faits cependant. Ainsi un rapport avait été publié par l’Inspection générale de la justice (aussi connue sous le sigle IGJ) et dans lequel il est fait mention que cet objectif n’a pas été atteint. Il ressort par ailleurs de ce rapport que ces cours criminelles départementales ont même fait perdre du temps à la justice…
Le procureur général près la Cour de cassation, M. Rémy Heitz, a même été jusqu’à observer et déclarer que « la généralisation des cours criminelles départementales figure au rang » des « causes multi-factorielles » de « l’engorgement croissant de la chaîne de jugement ». Il ressort aussi du rapport précité que la réforme mise en œuvre et ayant permis l’instauration de ces cours a abouti à un allongement du délai des jugements « des accusés relevant de la cour d’assises ».
Les cours criminelles départementales ont-elles mis un terme à la correctionnalisation des viols ?
Cet argument ne tient pas, malgré ce que peuvent en dire les médias. Ceci ressort du rapport de l’IGJ qui rappelle que cette correctionnalisation demeure importante actuellement.
Il est en outre déplorable de relever le phénomène de « cour-criminalisation » qui consiste à minimiser, sous-évaluer des violences sexuelles. Il s’agit ici de passer outre certaines circonstances aggravantes inhérentes aux viols en question. Ces « oublis » permettent alors de soustraire ces affaires à la compétence des cours d’assises au profit de la compétences des cours criminelles départementales.
L’on entend également la spécialisation des juges de ces juridictions au regard des violences sexuelles. Qu’en est-il ?
Une spécialisation des magistrats des cours criminelles départementale ?
Cette juridiction ne comprend pas de jury populaire. L’argument qui avait été avancé était le suivant : la juridiction comprend des magistrats spécialisés. Or la réalité ne correspond pas aux attentes et nombre de magistrats ne sont pas spécialisés dans de telles matières. Ainsi le président est entouré de 4 magistrats assesseurs qui exercent dans des domaines divers et variés et qui sont appelés à connaître de crimes alors même qu’ils ne sont pas nécessairement spécialisés à l’égard de ces infractions.
Cette constatation joue-t-elle sur les derniers chiffres dont nous disposons concernant le taux d’acquittement voire les peines en effet prononcées ?
Ces chiffres qui datent de 2022 et qui devraient être actualisés pour plus de véracité montrent que le taux d’acquittement est sensiblement le même que celui enregistré pour les cours d’assises. Il en est de même concernant les peines prononcées en matière de viols (à savoir : 10,2 ans pour les cours d’assises et 9,6 ans pour les cours criminelles départementales).
Un tel procès aurait-il pu être organisé avec un jury populaire ?
L’on a pu entendre que ce procès hors norme aurait été difficile à mettre en place avec un jury populaire. Toutefois cette déclaration est fausse car les faits reprochés à Joël Le Scouarnec et le nombre de victimes très important résultent dans tous les cas sur des difficultés d’organisation, peu importe d’ailleurs la présence ou non d’un jury populaire.
Il n’est en rien inédit que des procès très importants aient eu lieu avec la présence d’un jury populaire alors même que ces deniers ont pu durer plusieurs semaines, voire encore plusieurs mois. Il nous faut aussi retenir que ce jury populaire donne un poids certain à la décision finale rendue par la juridiction.
La composition de ces cours criminelles départementales pose aussi certaines questions en terme d’organisation. En effet ces cours sont composées d’un président et de 4 magistrats assesseurs tandis qu’en cours d’assises le président est accompagné de 2 assesseurs. Ces cours mobilisent alors plus de magistrats et ceci impacte considérablement les jugements devant être rendus par les autres juridictions dans ces assesseurs relèvent.
On le voit donc que ces différentes constatations effectuées à l’égard du procès de Joël Le Scouarnec, au-delà même des faits en cause et du nombre impressionnant de victimes présumées, pose la question du devenir des cours criminelles départementales, en tout cas, de leur utilité face aux cours d’assises.
Références
https://www.lemonde.fr/proces-de-joel-le-scouarnec/
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1487
https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/justice-pourquoi-la-generalisation-des-cours-criminelles-au-detriment-des-cours-d-assises-fait-debat_5578170.html
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/morbihan/vannes/proces-le-scouarnec-pourquoi-es-tu-devenu-pedophile-les-secrets-d-une-famille-brisee-face-a-l-horreur-des-abus-sexuels-du-pere-et-du-grand-pere-3115306.html