Les révélations de l’enquête de Disclose

Il ressort d’une publication de Disclose, parue le 14 novembre dernier, que les forces de l’ordre françaises utilisent, en secret, un logiciel de vidéosurveillance qui permet notamment la reconnaissance faciale. L’onde de choc réside surtout dans le fait que cette reconnaissance est actuellement prohibée en France et qu’elles l’utilisent depuis près de huit ans maintenant.


Ce logiciel fut acquis auprès de la société de nationalité israélienne Briefcam qui est spécialisée dans les logiciels destinés à la vidéosurveillance algorithmique (connue sous le signe VSA). Ce dispositif est utilisé en lien très étroit avec l’intelligence artificielle et permet in fine d’examiner le contenu d’images provenant de caméras de vidéosurveillance ou bien d’autres dispositifs afin que des situations considérées comme « anormales » soient mises en lumière.


Ce qui est intéressant à relever ici est que jusqu’à présent la vidéosurveillance algorithmique pouvait être utilisée dans des cas strictement limités et définis par le droit français. Or comme nous avons eu l’occasion d’en discuter dans de précédents articles, et parce que la France s’apprête dans quelques mois à accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques, une loi fut récemment adoptée afin qu’une utilisation temporaire soit mise en place pour son usage. Toutefois l’exécutif n’a pu obtenir de la part des parlementaires l’autorisation d’utiliser la reconnaissance faciale, ces derniers ayant argué de risques possibles portés à l’encontre de la vie privée.

Une utilisation totalement secrète et interdite

Ce logiciel dénommé « Vidéo Synopsis » est utilisé sur des ordinateurs spécifiques depuis maintenant huit ans par le Ministère de l’Intérieur en dépit de certaines de ses fonctionnalités pourtant prohibées, dont la reconnaissance faciale. Il ressort de ces révélations que le logiciel a tout d’abord été expérimenté par la Direction départementale de sécurité publique de Seine-et-Marne avant que son utilisation soit étendue à d’autres services des forces de l’ordre, dont la police judiciaire ou encore la gendarmerie nationale. Ce déploiement extraordinaire est illégal en ce qu’il ne respecte ni le droit interne et notamment la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 et remaniée depuis lors à plusieurs reprises, ni le droit de l’Union européenne.


En vérité, la Direction générale de la police nationale avait à sa charge d’actionner dans un premier temps une « analyse d’impact relative à la protection des données », dans un second de l’adresser à la CNIL. Il n’en fut rien de cela, la CNIL ayant par ailleurs déclaré qu’il lui était impossible « d’infirmer ou de confirmer » l’utilisation de ce logiciel par les forces de l’ordre.

Ce qui pourrait révéler cette utilisation par les forces de l’ordre résiderait dans une fonctionnalité somme toute désarmante de faciliter à mettre en œuvre. Quelques clics suffiraient en effet à l’activer et l’utilisation en dehors de tout encadrement légal. Il ressort de l’investigation menée par Disclose que cette fonctionnalité est extrêmement appréciée par les forces de l’ordre en ce qu’elle peut être utilisée indifféremment aussi bien en temps réel qu’a posteriori. Malgré cette utilisation illégale, et les avantages que présentent ce logiciel, il ressort également que cet usage inquiète tout de même au sein même de certaines directions sans que pour autant celles-ci aient décidé de l’interdire ou de l’arrêter.

Une utilisation prohibée mais pourtant autorisée dans certains cas

Il est opportun de noter ici que de rares autorisations sont pourtant décidées la concernant.

Il s’agira en effet d’autorisations concernant des enquêtes de nature administrative ou bien de nature judiciaire dans des cas prédéterminés, par exemple dans le cadre de troubles portés à l’encontre de l’ordre public. Il s’agira également, comme beaucoup d’entre nous avons déjà pu le vivre dans les aéroports lors des passages aux frontières extérieures (Parafe) qui permettent la comparaison entre le passeport biométrique des passagers à leur visage lors de ces mêmes contrôles.

Or malgré ce strict cadre juridique, les forces de l’ordre ferait tout simplement fi de ces exceptions en l’utilisant sans aucun contrôle ni même d’une quelque réquisition. Grand silence du côté des forces de l’ordre comme du côté du vendeur de ce logiciel, c’est-à-dire que chacun ne souhaite pas révéler les usages réels qui en sont faits arguant pour les uns que les forces de l’ordre peuvent l’utiliser si tel ou tel service détient effectivement le logiciel, pour les autres que le sujet est sensible et surtout strictement confidentiel. Cela revient à dire qu’une fois le logiciel acquis, l’usage qui est en fait est du seul ressort de l’utilisation final…

Comme nous avons pu l’évoquer ci-dessus nombre de directions et de services font actuellement usage de ce logiciel puissant. Aujourd’hui, en France, il existerait une centaine de communes qui exploitent ce logiciel et cette fonctionnalité si utile pour les forces de l’ordre. Outre cet emploi qui prend de l’ampleur dans l’illégalité la plus totale et par conséquent la plus obscure, il conviendra de comprendre que cet emploi fait que la société israélienne Briefcam se trouve aujourd’hui en pôle position des sociétés commercialisant ce type de logiciels sur le territoire national.

En fin de compte, il pourrait être rassurant de se dire que depuis ces révélations, de nombreuses communes ont été contraintes par des décisions de justice d’effacer purement et simplement les données qu’elles ont pu collecter grâce à l’utilisation de cette fonctionnalité, du fait d’un travail actif de nombreuses associations de défense des droits des citoyens français.

Notons en effet, sous ce rapport, que différents collectifs, dont la Ligue des droits de l’homme, l’Union syndicale Solidaires, le Syndicat de la magistrature ou encore l’Association de défense des libertés constitutionnelles se sont emparés de cette question, démontrant le caractère inquiétant des révélations qui ont été faites grâce au travail des journalistes de Disclose…