Le traité de libre-échange avec le Mercosur : de quoi parle-t-on ?
Avant même de nous intéresser à la question de savoir si la France est ou non en mesure de s’opposer à ce traité, se pose la question suivante : en quoi consiste ce traité de libre-échange ? Conclu en 2019, le projet permettrait l’élimination de plus de 90% des droits de douane sur les produits importés soit au sein de l’Union européenne, soit au sein du Mercosur (un espace de libre circulation des biens et des services, en Amérique latine). Cet accord permettrait alors d’ouvrir le marché européen d’une manière plus poussée qu’actuellement au marché sud-américain, parfois avec des tarifs préférentiels, parfois même sans aucun obstacle tarifaire. Également, une suppression progressive des droits de douane est envisagée sur le vin ou encore les fruits importés au sein du Mercosur.
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Celui-ci est critiqué pour deux raisons principales, d’abord des raisons de nature sociale, puis des raisons de nature environnementale. En effet, d’après ses opposants, celui-ci permettrait d’importer au sein de l’Union européenne un ensemble de produits agricoles sans même qu’ils n’aient à en respecter les nombreuses règles contraignantes s’imposant aux acteurs européens ce qui, in fine, favoriserait une concurrence déloyale et résulterait sur une pression importante au sein du marché européen. Le Président français a, sous ce rapport, pu déclarer que le traité devrait comprendre des clauses dites miroirs, afin que ce qui doit être respecté au sein de l’Union européenne concernant la production doive également l’être « à l’extérieur [dès lors que] les importations » sont facilitées. Finalement, sur le plan environnemental, l’accroissement certain des flux commerciaux entre les deux continents résultera nécessairement sur l’augmentation de gaz à effet de serre, d’autant plus que les normes en matière environnementale ne sont pas identiques de part et d’autre de l’Atlantique. Certaines ONG ont aussi pu critiquer l’expansion de la déforestation en Amazonie.
La France est-elle en mesure de s’opposer à la signature de cet accord ?
Ce projet d’accord de libre-échange n’est pas sans soulever une certaine opposition dans l’Hexagone. Toutefois, qu’en serait-il si la France décide de s’y opposer ? Le processus serait-il arrêté ? Que pourrait faire l’Union européenne à ce sujet ? Ce projet est dit « mixte » en ce qu’il intéresse des compétences exclusives revenant à l’Union européenne (à l’image du commerce) mais aussi des compétences des Etats membres (à l’image de l’environnement).
En outre, il convient de noter que pour enter en vigueur, ce traité de libre-échange droit non seulement être signé puis ratifié par l’Union européenne (sous l’égide du Conseil et du Parlement européen) mais aussi par l’ensemble des 27 Etats membres de l’Union européenne. Sur ces deux points principaux, il est envisageable que la France soit en mesure de bloquer le processus.
Du point de vue de l’Union européenne, la conclusion d’un tel traité répond à une procédure propre : ainsi, lorsque les négociations sont achevées, le traité doit être approuvé par le Conseil de l’Union européenne (cette institution est, pour rappel, composée des 27 Etats membres). Ceux-ci y votent alors à la majorité qualifiée ou bien à l’unanimité en fonction des compétences en cause. En l’espèce, seule une majorité qualifiée permet d’approuver ce traité. La France ne saurait donc bloquer le processus d’accord. Si une minorité de blocage parvenait à se constituer, les choses seraient tout autre ; cependant, il conviendrait qu’au moins trois Etats membres, qui représenteraient plus de 35% de la population de l’organisation internationale, se rejoignent. Le Conseil devrait donc, en pareil cas, rejeter le projet qui serait par conséquent suspendu. Pour l’heure, seules la France et la Pologne se sont ralliées.
Ensuite, pour le cas où le Conseil approuve l’accord en cause, il reviendra en second lieu au Parlement européen de l’approuver, en séance plénière, à la majorité simple des suffrages exprimés. De nouveau, ici, la France et ses 81 députés européens ne pèserait pas lourd dans la balance pour contrer l’approbation dudit traité, ce parlement étant composé d’un total de 720 députés.
Enfin, qu’en est-il du rôle des parlements des Etats membres ? Le rejet de ce traité pourrait résulter d’un refus des parlements des Etats membres de l’Union européenne même si cet accord est mixte. Ici, il suffira du blocage d’un seul parlement pour que l’accord en question soit bloqué. A cela, néanmoins, il nous faut bien garder à l’esprit que la Commission européenne dispose d’un choix et non des moindres en ce qu’elle pourrait tout à fait prendre le parti de le diviser en deux parties. De fait, si tel est le cas, toutes les dispositions relevant des compétences exclusives de l’organisation internationale pourraient donc être mis en application, c’est-à-dire les dispositions de nature commerciale, sans que les parlements nationaux ne soient amenés à se prononcer. Ce sont, par ailleurs, les dispositions les plus décriées (à savoir, notamment la suppression et/ou la réduction des droits de douane). Le traité de libre-échange pourrait donc entrer en vigueur, de manière partielle. Le Parlement français n’aurait alors pas besoin de se prononcer à ce sujet. Toutefois la France serait dans l’obligation de l’appliquer en effet.
Quid, finalement, du vote négatif du Parlement français les 26 et 27 novembre 2024 ? Ce vote négatif, décidé par les parlementaires français, d’abord par les députés, suivis le lendemain par les sénateurs, est intéressant à relever en ce qu’il constitue la confirmation de la volonté du pouvoir exécutif. Ce constat étant effectué, il convient néanmoins de retenir que ce vote n’est que consultatif ; il ne s’inscrit en aucun cas dans le processus formel de ratification du traité de libre-échange décrié. Il s’agissait, ici, pour le Gouvernement de Michel Barnier de s’assurer du soutien des parlementaires nationaux et surtout d’asseoir un peu plus le poids de la France dans les négociations en cours au niveau européen.
Références
https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/289981-laccord-dassociation-ue-mercosur-en-huit-questions
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/11/20/accord-entre-l-ue-et-le-mercosur-les-reponses-a-vos-questions_6405371_4355770.html#:~:text=Le%20projet%20d%27accord%20entre%20l%27Union%20europ%C3%A9enne%20(UE,de%20douane%20r%C3%A9duits%20ou%20nuls.
https://www.francetvinfo.fr/economie/commerce/mercosur/accord-ue-mercosur-la-france-peut-elle-reunir-assez-de-pays-opposes-au-traite-de-libre-echange-pour-obtenir-une-minorite-de-blocage_6922451.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/27/dans-sa-bataille-contre-l-accord-ue-mercosur-la-france-rallie-la-pologne-et-marque-un-point_6416503_3210.html