Par une décision du 15 décembre dernier (décision n° 2022-844 DC), le Conseil constitutionnel est intervenu afin de valider la loi n° 2022-1598 « Marché du travail » du 21 décembre 2022 qui prévoit, entre autres, une présomption de démission après un abandon de poste. Décryptage.
Ces dispositions sont différentes des pratiques jusqu’alors en place. En effet jusqu’à maintenant le salarié qui abandonnait sciemment son poste de travail était, sauf exceptions, licencié pour faute grave par son employeur. La procédure de licenciement se déroulait ainsi : d’abord, l’employeur devait mettre en demeure le salarié concerné de reprendre son poste (un délai pouvait ou non être fixé). Ensuite intervenait une convocation à un entretien préalable (une mise à pied conservatoire pouvait intervenir à ce stade de la procédure). Enfin, le licenciement pour faute grave était prononcé.
L’abandon de poste est classiquement considéré comme étant constitutif d’une faute grave qui justifie en effet la rupture du contrat de travail entre le salarié et son employeur. Le salarié ne pouvait alors bénéficier de l’indemnité de licenciement ainsi que de son préavis ; il pouvait cependant bénéficier des allocations chômage. Dans la nouvelle procédure entrée en vigueur, le salarié qui a abandonné son poste est en outre privé des allocations chômage.
Ces nouvelles ne sont pas sans poser certaines difficultés d’ordre théorique.
Les règles ont été modifiées de telle manière que dorénavant, à la lecture de la procédure nouvelle, même lorsque l’employeur est à l’origine de la rupture, les conséquences qui y seront associées seront celles d’une rupture, non pas à son initiative, mais bien à celle du salarié concerné.
Il est, de surcroit, intéressant de relever que les termes utilisés dans cet article sont remarquables et pour cause : la « démission présumée », telle qu’elle est maintenant inclue dans ces dispositions, vient bouleverser la conception intrinsèque de la notion de démission en jurisprudence. Il est ainsi considéré, de jurisprudence constante par la Chambre sociale de la Cour de cassation, que la démission ne peut se déduire que par une manifestation à la fois claire mais aussi non-équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail qui le lie à son employeur : la démission ne peut alors se présumer…
Ensuite, il existe aussi des difficultés du côté des employeurs et plus exactement des imprécisions qui découlent de la loi elle-même. En effet, cette nouvelle procédure doit-elle être mise en œuvre de manière impérative ? Quid de possibles réponses de la part du salarié qui ne reprend cependant pas son poste, celles-ci sont-elles de nature à mettre fin à la procédure ?
En vérité, ce qui semble véritablement découler de ces nouvelles dispositions relatives à l’abandon de poste réside dans le fait que les parlementaires semblent avoir mis la priorité sur une volonté de restreindre l’accès aux allocations chômage des salariés qui précipitent la fin de leur contrat de travail. Toutefois, sans même critiquer cette volonté, ce qui apparait relativement navrant réside dans le fait que les règles mises en place par ces nouvelles dispositions semblent créer plus de problèmes qu’elles n’en réglent…
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038829574
https://www.justifit.fr/b/guides/droit-travail/abandon-de-poste/
https://www.juritravail.com/Actualite/abandon-de-poste-quelle-est-la-procedure/Id/14344
Les dispositions du nouvel article 1237-1-1 du Code du travail
Cet article 1237-1-1 du Code du travail prévoit, depuis la fin du mois de décembre 2022, la présomption de démission du « salarié qui a abandonné volontairement son poste » et qui ne le reprendrait pas « après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste. »Ces dispositions sont différentes des pratiques jusqu’alors en place. En effet jusqu’à maintenant le salarié qui abandonnait sciemment son poste de travail était, sauf exceptions, licencié pour faute grave par son employeur. La procédure de licenciement se déroulait ainsi : d’abord, l’employeur devait mettre en demeure le salarié concerné de reprendre son poste (un délai pouvait ou non être fixé). Ensuite intervenait une convocation à un entretien préalable (une mise à pied conservatoire pouvait intervenir à ce stade de la procédure). Enfin, le licenciement pour faute grave était prononcé.
L’abandon de poste est classiquement considéré comme étant constitutif d’une faute grave qui justifie en effet la rupture du contrat de travail entre le salarié et son employeur. Le salarié ne pouvait alors bénéficier de l’indemnité de licenciement ainsi que de son préavis ; il pouvait cependant bénéficier des allocations chômage. Dans la nouvelle procédure entrée en vigueur, le salarié qui a abandonné son poste est en outre privé des allocations chômage.
Ces nouvelles ne sont pas sans poser certaines difficultés d’ordre théorique.
Les difficultés théoriques découlant de cette nouvelle procédure
Comme précisé ci-dessus le choix effectué par les parlementaires, et qui consiste à priver le salarié qui a abandonné son poste des allocations chômage, a considérablement modifié l’ensemble des conditions qui en permettent l’octroi effectif. Et jusqu’à présent, et sauf cas précis, la condition qui découlait de la rupture à l’initiative de l’employeur permettait au salarié de bénéficier de ces allocations ; lorsque la rupture était effectuée à la seule initiative du salarié, ce dernier ne pouvait valablement bénéficier des allocations chômage (cf. décret n° 2019-797 du 29 juillet 2019). Ici, on le comprend clairement, les règles en la matière étaient limpides puisque peu importe la possibilité de contester la rupture du contrat de travail devant le Conseil des prud’hommes, l’individu (salarié ou employeur) à l’origine du courrier de rupture était clairement reconnaissable.Les règles ont été modifiées de telle manière que dorénavant, à la lecture de la procédure nouvelle, même lorsque l’employeur est à l’origine de la rupture, les conséquences qui y seront associées seront celles d’une rupture, non pas à son initiative, mais bien à celle du salarié concerné.
Il est, de surcroit, intéressant de relever que les termes utilisés dans cet article sont remarquables et pour cause : la « démission présumée », telle qu’elle est maintenant inclue dans ces dispositions, vient bouleverser la conception intrinsèque de la notion de démission en jurisprudence. Il est ainsi considéré, de jurisprudence constante par la Chambre sociale de la Cour de cassation, que la démission ne peut se déduire que par une manifestation à la fois claire mais aussi non-équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail qui le lie à son employeur : la démission ne peut alors se présumer…
Des difficultés notables pour les salariés et les employeurs
A ces difficultés d’ordre théorique viennent s’ajouter des difficultés aussi bien pour le salarié que pour l’employeur. Tout d’abord, concernant la situation du salarié, il est intéressant de noter que ces règles nouvelles dissocient l’abandon de poste de tous les autres comportements dont ce dernier peut faire preuve et qui peuvent constituer le fondement juridique d’un licenciement. Cela étant dit, il faut comprendre la situation suivante : aujourd’hui les salariés ne sont plus en mesure d’user de l’abandon de poste afin de percevoir les allocations chômage. Toutefois ces derniers pourront user d’autres moyens afin de résulter sur une décision de licenciement de la part de leur employeur. Or certains procédés peuvent être violents mais en fin de compte ils pourront tout de même bénéficier des allocations chômage conséquemment à la rupture de leur contrat (peu importe la nature de leur licenciement, pour faute grave ou même encore pour faute lourde). N’existerait-il pas une certaine forme d’injustice pour les salariés qui utilisent l’abandon de poste afin, par exemple, d’achever une situation de harcèlement moral dont ils sont la victime ? Concernant ces derniers, ils seront, conformément aux dispositions susmentionnées, contraints d’attendre qu’une juridiction prud’homale reconnaisse explicitement le fondement de leur contestation. Egalement concernant les salariés, l’article L. 1237-1-1 du Code du travail prévoit le délai d’un mois pour que la contestation soit connue en audience. Toutefois, ici, la réalité du terrain est bien différente de la volonté du législateur : en effet, les juridictions prud’homales sont engorgées, à l’image des autres juridictions nationales, du fait d’un manque de moyens humains et matériels criant.Ensuite, il existe aussi des difficultés du côté des employeurs et plus exactement des imprécisions qui découlent de la loi elle-même. En effet, cette nouvelle procédure doit-elle être mise en œuvre de manière impérative ? Quid de possibles réponses de la part du salarié qui ne reprend cependant pas son poste, celles-ci sont-elles de nature à mettre fin à la procédure ?
En vérité, ce qui semble véritablement découler de ces nouvelles dispositions relatives à l’abandon de poste réside dans le fait que les parlementaires semblent avoir mis la priorité sur une volonté de restreindre l’accès aux allocations chômage des salariés qui précipitent la fin de leur contrat de travail. Toutefois, sans même critiquer cette volonté, ce qui apparait relativement navrant réside dans le fait que les règles mises en place par ces nouvelles dispositions semblent créer plus de problèmes qu’elles n’en réglent…
Références
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31209https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038829574
https://www.justifit.fr/b/guides/droit-travail/abandon-de-poste/
https://www.juritravail.com/Actualite/abandon-de-poste-quelle-est-la-procedure/Id/14344